
dans un nid étranger, construisent-ils leurs nids comme ceux de leurs
pères et de leurs aïeux? Pourquoi le coucou n’imite-t-il ni le nid où
il est éclos, ni le chant de l’oiseau qui l’a élevé ? Comment enseignons-,,
nous à l’écureuil, que nous avons pris aveugle dans son nid, à grimper,
et à sauter d’une branche à l’autre ? Comment inculquons - nous au
furet l’instinct de chercher un lapin dans son terrier? Comment le chien
apprend-il la vigilance, l’attachement à son maître, et l’oubli des injustices
qu’il a éprouvées ? Qui a dit au loup de creuser la terre pour pénétrer
dans les étables et les parcs, lorsqu’il ne peut en franchir l’enceinte
? Qui a instruit les scarabées et les canards à contrefaire les morts,
aussitôt qu’ils sont menacés par un animal rapace ? Qui a donné des
leçons à l’araignée qui, aussitôt quelle est sortie del’ceuf, tisse un réseau,
et en enveloppe les mouches qu-’elle a attrapées, afin qu’elles ne se dessèchent
pas ? De qui la mouche ichneumon a-t-elle appris à attacher avec
un fil à la branche d’un arbre, la chenille dans laquelle elle a déposé
ses oeufs ; et comment les chenilles, à peine écloses, se roulent-elles dans
une feuille, afin de se préserver du froid et de l’humidité de l’hiver?
Enfin , pourquoi les animaux font-ils des choses qu’ils n’ont jamais vu
faire, et pourquoi, dès la première fois, les font - ils aussi bien que les
auteurs de leurs jours?
La plupart des animaux ne sont pas , il est vrai, bornés uniquement
au soin de leur conservation. Ils sont susceptibles d’une instruction
étrangère à leurs besoins immédiats. Voilà pourquoi l’on peut enseigner
toutes sortes de tours d’adresse aux oiseaux , aux écureuils, aux chats,
aux chiens, aux cerfs, aux chevaux, aux singes, etc. Ces animaux
modifient même leur manière d’agir, suivant la position dans laquelle
ils se trouvent. Mais cette faculté de recevoir de l’éducation, est toujours
proportionnée à leur organisation, et ils ne peuvent, pas plus que
l’homme,apprendre les choses dont cette organisation ne les a pas rendus
susceptibles. Jamais le boeuf n’apprendra à courir après les souris, ni
le chat à brouter l’herbe; et jamais l’on ne pourra instruire le chevreuil
pt le pigeon à aller à la chasse comme le chien et le faucon.
Sans les principes que nous soutenons ici, comment expliqueroit-on
les différences qui se trouvent dans les facultés des individus qui ont
absolument la même manière de vivre ? Lorsque , dans une forêt, un
rossignol chante mieux et plus assidûment que les autres, que dans le
même troupeau un bélier ou un boeuf sont plus méchans que leurs
compagnons, qu’un chien est plus hargneux et l’autre plus doux, qu’un
coq est plus ardent au combat et l’autre plus pacifique , peut-on attribuer
ces phénomènes à l’instruction ou à l’éducation ?
Comment comprendre enfin pourquoi plusieurs individus s’élèvent
au-dessus de leurs semblables, et deviennent, pour ainsi dire, les
génies de leur espèce ?La Coste, traducteur de Locke, parle ‘ d’un
chien qui, en hiver, toutes les fois que ses camarades étoient couchés
autour du feu de manière à l’empêcher d’en approcher , se mettoit à
faire du bruitdansla cour; et pendant que ses camarades y couroient, il
se dépêchoit d’entrer dans la maison, prenoit une bonne place auprès
du feu, et laissoit aboyer ceux qu’il avoit trompés par ce stratagème. Il
y avoit souvent recours, et cependant il en venoit toujours à ses fins,
parce qu’aucun des autres chiens n’avoit assez d’intelligence pour découvrir
cette ruse. M. Dupont de Nemours * avoit une vache qui, pour
procurer à tout le troupeau une nourriture plus abondante, avoit seule
l’idée de faire sauter avec ses cornes la clôture dont on avoit enceint
iin champ. Aucune dè ses compagnes nesavoit l'imiter; et lorsqu’elles
étoient près de la clôture, elles attendoient avec impatience l’arrivée
de leur conductrice.
Ainsi, de même que les propriétés des plantes qui sont nées sur le
même sol, et qui éprouvent les mêmes influences, n’en conservent pas
moins entre elles leurs différences caractéristiques, de même il faut
admettre que chaque animal, en vertu de son organisation, a une
manière de vivre propre et déterminée; et que les différences qui existent
entre les espèces et les individus , sont fondées sur les modifications de
leur organisme.
1 Essai sur l’entendement humain, Amst, 1774» T- M> p- 268
» Quelques Mémoires sur diilerens sujets, Paris, 1807, p. 182.