
d'effet qu’en proportion des qualités innées. S’il en étôit autrement,
comment ces hommes bienfaisans se pardonneroient-ils, et comment
leur pardonneroit-on de ne pas déraciner, dans leurs élèves, tous les
défauts , tous les vices, toutes les passions funestes et toutes les inclinations
basses? Comment les auteurs satyriques, les moralistes , et les
prédicateurs auroient-ils si peu d’empire contre les ridicules, et contre les
crimes? Pourquoi les grands et les riches n’ont-ils pu encore acheterl’art
de donner àleurs enfansune grande capacité? Croyons donc qu’un tel art
n’est pas entièrement au pouvoir des hommes. C’est la nature elle-même,
c’est-elle seule qui, par le moyen des lois immuables de l’organisation,
s’est réservé non pas l ’unique, mais le premier droit sur tout exercice
des facultés et des penchans de l’homme et des animaux.
5°. Pour échapper aux preuves que nous avons tirées de cette foule
de cas que l’organisation peut seule expliquer, nos antagonistes nous
disent que les génies de tous les genres forment classe à part, et qu’on
ne peut pas conclure de ces exceptions, que les propriétés de l’ame
et de l’esprit soient innées, ni qu’elles dépendent pour leur exercice
des organes matériels.
Il vaudroit autant soutenir que la faim et la circulation du sang ne
dépendent pas de l’organisation , parce que tous les hommes n’ont pas
une faim désordonnée, ni la fièvre; ou bien prétendre que la taupe
ne voit pas avec ses petits yeux, et que l’homme n’a pas d’odorat avec
un nerf olfactif aussi petit que le sien, attendu que l’aigle et le chien
tiennent, l’un sa vue perçante, de la grosseur de son nerf optique; et
l ’autre, son odorat très-fin, de la grosseur de son nerf olfactif. Ces exceptions,
au contraire , conduisent à des conséquences.tout-à-fait opposées ;
car si, dans les circonstances où les facultés ont la plus grande énergie,
la cause qui la produit, et qui est alors plus frappante , se trouve dans
l’organisation , pourquoi n’en seroit-il pas de même quand une énergie
ordinaire rend la cause qui la produit moins facile à découvrir? La
différence des effets du plus au moins n’est pas un motif suffisant pour
qu’on cherche à les expliquer par des causes différentes.
6°. On a encore recours à de petits subterfuges pour prouver que les
propriétés de lame et de l’esprit sont produites par le hasard. Ce sont,
dit-on, des impressions insignifiantes sur l’enfant à la mamelle, ce sont
des exemples et des événemens particuliers qui déterminent tantôt une
propriété, et tantôt une autre. Si Démosthène devient éloquent, c’est
qu’il a été entraîné par l ’éloquence de Callistrate. Si Vaucanson devient
célèbre dans la mécanique, c’est qu’étant enfant, il voit une horloge
dans 1 antichambre du confesseur de sa mère ; il en examine les rouages
, fait une machine semblable avec un mauvais couteau; et, son
goût se développant, il fera bientôt un joueur de flûte automate, et les
machines les plus étonnantes '. Milton, dit-on encore *, n’aurait pas fait
son poème, s’il n’avoit pas perdu sa place de secrétaire de Cromwell.
Shakespear ne fit des tragédies, que parce qu’il étoit acteur. Au lieu
de devenir acteur, il serait resté marchand de laine comme son père,
si quelques fautes de sa jeunesse ne l’avoient pas contraint de quitter le
lieu de sa naissance. Corneille devient amoureux, et fait des vers pour
1 objet de sa passion ; c esta.cette circonstance que nous devons ce grand
poète dramatique. Newton voit tomber une pomme; qqe lui faut-il de
plus pour deviner la loi de la gravitation?
Admettons ces faits. Tout ce que l’on pourrait en conclure d’après les
règles d’une saine logique, c’est que nos facultés ne se mettent pas toujours
d’elles-mêmes en activité ; que souvent il faut que l ’impulsion leur
soit donnée par une action extérieure, ou que l’objet matériel sur lequel
elles doivent s’exercer, leur soit offert. Le coq ne.se bat point, s’il n’a
point de rival qui le contrarie dans .ses amours, et qui lui dispute ses
conquêtes ; le castor ne construit pas, s’il n’a point de branches d’arbre,
de même qu’aucun animal n’engendre sans femelle. De tous les temps,
les grands évenemens font paraître de grands hommes, non que les circonstances
engendrent leurs qualités intellectuelles, mais parce quelles
fournissent une ample matière au libre exercice de leurs facultés. Plusieurs
hommes sans doute ne parviennent.que par ce moyen à connoître
Helvétius, de l ’Homme, T. I , p.
a Ibid, p, /j.f.