
somme d’argent, à lui permettre au moins de mordre son bras. Une
autre femme grosse satisfit son horrible envie de tuer son mari, et de
le manger ; elle le sala, afin de pouvoir s’en nourrir pendant plusieurs
mois.
Comme la nature de l’aliénation raisonnante n’est pas assez généralement
connue, il arrive que des malfaiteurs qui appartiennent a cette
classe d’aliénés, et que l’on voit agir et raisonner d’une manière conséquente
, sont, dans certains pays, condamnés à la prison ou à la mort,
tandis que, dans d’autres pays , on se borne à les envoyer à l’hôpital des
fous.
4°. Quelquefois l’aliénation mentale est accompagnée de visions et
d’inspirations, et ce symptôme particulier annonce que la maladie a
acquis le plus haut degré d’exaltation. Les infortunés qui en sont atteints,
se conduisent de la manière la plus conséquente dans la poursuite du
projet qu’ils ont formé ; ils agissent, comme l’a aussi remarqué M. Pinel,
avec une détermination inébranlable et de la manière la plus irrésistible.
Un tel malade, fort de l’appui d’une puissance plus élevée, méprise tous
les efforts que l’on fait pour le dissuader de son projet, et se place au-
dessus de toutes les considérations humaines. Sa conduite est souvent
calme ; à peine juge-t-il les autres hommes dignes d’être les confidens de
ses motifs secrets. Il n’espère rien de leur secours ; il ne redoute nullement
leurs menaces. Celui qui a éprouvé, et ne fût-ce que momentanément, l effet
des visions et des inspirations , et qui n’est pas tres^familiarisé avec la
connoissance de la nature, ne peut guère se laisser persuader, quand il
se retrouve dans un état régulier, que tout ce qu’il a éprouvé n avoit rien
de réel. Ces visions continuent-elles, le malade entend-il sans cesse ou
dans divers momenset dans divers lieux cette prétendue voix impérieuse
qui lui parle, comment trouver alors des moyens de le retenir, à moins
de faire cesser l’irritation et le dérangement de l’intérieur ? Les fous les
plus furieux se laissent souvent détourner de leur dessein par les menaces,
par la vue du surveillant ou du médecin, par un traitement doux
et raisonnable ; mais quel effet tous les efforts humains produiront-ils
sur un homme à qui le ciel et l’enfer commandent, ou qui les a à ses
ordres. M. Pinel cite ■ l’exemple d’un ancien moine, dont la raison avoit été
égarée par la dévotion. Celui-ci crut, une certaine nuit, avoir vu en songe
la Vierge entourée d’un choeur d’esprits bienheureux, et avoir reçul’ordre
exprès de mettre à mort un homme qu’il traitoit d’incrédule. Ce projet
homicide eût été exécuté, si l’aliéné ne se fût trahi par ses propos, et s’il
n’eût été prévenu par une réclusion sévère. Le même auteur * parle
aussi d’un vigneron crédule, dont l’imagination fut si fortement ébranlée
par le sermon d’un missionnaire, qu’il croyoit être condamnéhux brasiers
éternels, et ne pouvoir empêcher sa famille de subir le même sort
que par ce qu’on appelle le baptême de sang ou le martyre. Il essaie
d’abord de commettre un meurtre sur sa femme, qui ne parvient qu’avec
la plus grande peine à échapper de ses mains; bientôt après son bras
forcené se porte sur deux de ses enfans en bas âge, et il a la barbarie
de les immoler de sang froid pour leur procurer la vie éternelle. Livré
aux poursuites de la justice , il égorge encore un criminel qui étoit avec
lui dans le cachot, toujours dans la vue de faire une oeuvre expiatoire.
Son aliénation étant constatée, on le condamna à être renfermé pour le
reste de sa vie dans les loges de Bicètre. L’isolement d’une longue détention,
toujours propre à exalter l’imagination, et l’idée d’avoir échappé à
la mort, malgré l’arrêt qu’il suppose avoir été prononcé par les juges,
aggravent encore son délire, et lui font croire qu’il est revêtu de la toute-
puissance, ou, suivant ses expressions, qu’il est la quatrième personne
de la Trinité; que sa mission spéciale est de sauver le monde par le
baptême de sang, et que tous les potentats de la terre réunis ne sauroient
attenter à sa vie. Son égarement est d’ailleurs partiel, et se borne à ce
qui se rapporte à la religion; il paroît.sur tout autre objet, jouir de
la raison la plus saine. Ce même malade avoit passé plus de dix ans
dans une étroite réclusion, et d’après les apparences soutenues d’un état
calme et tranquille, on s’étoit déterminé à lui accorder la liberté d’entrer
1 L. c., p. i65.
*L .c ;,p. 119.
XI. 26