toujours ouverts et fixes, il ne les faisoit jamais mouvoir, mais il tour-
noit toute la tête. Plusieurs fois on le retint, il sentoit les entraves,
s’efforçoit de s’en débarrasser , et prioit qu’on le laissât en liberté, mais
il ne se réveilloit point. Quelquefois il disoit qu’il se réveilleroit si on le
conduisoit dans le jardin, ce qui ne manquoit pas d’arriver.
Je connois encore l’histoire d’un meunier qui, rêvant et les yeux
ouverts, entroit dans son moulin, s’y livroit aux mêmes occupations que
de jour, puis retournoit se coucher auprès de sa femme, sans se rap-
peler le moins du monde, le matin, ce qu’il avoit fait la nuit.
Il y a donc des somnambules qui voient, et l’opinion de certains
visionnaires qui pensent que l’apercepti.on des objets extérieurs n’a
lieu chez les somnambules que par les sens internes, se trouve réfutée.
L’expérience prouve que les somnambules qui ont les yeux fermés,
lorsqu’on leur oppose un obstacle qui leur est inconnu, se heurtent,
qu’ils tombent dans des trous, etc. Lorsque, les yeux fermés, ils se trouvent
dans un local connu, ils s’y orientent comme les aveugles, à l’aide
du sens de la mémoire locale.
Tout comme l’oreille et l’oeil peuvent être éveillés pendant le rêve,
d’autres sens externes peuvent l’être également. Nous sentons les exhalaisons
qui nous environnent, nous avons la conscience du goût, amer
ou douçâtre, de notre salive après une mauvaise digestion, nous sentons
la chaleur, le froid, etc.
Quelques personnes pensent que le somnambulisme est un état tout
à fait extraordinaire, parce que les somnambules exécutent, pendant
leur sommeil, des choses dont ils ne viendroient pas à bout éveillés.
Us grimpent sur les arhres ,s.ur les toits, etc.
Tout le merveilleux disparoît du moment où l’on fait réflexion aux
circonstances dans lesquelles on peut faire les tours les plus hardis , et
à celles où l’on ne le peut pas. Il n’y a personne qui placé sur un balcon
garni d’une balustrade, ne puisse faire plonger sa vue d’une tour fort
élevée, et sans s’appuyer contre la balustrade. On marche sans chanceler
sur une latte très-étroite posée sur le parquet. A quoi ne s’habituent
pas les jeunes garçons dans leurs jeux téméraires? que n’exécutent
pasles montagnards qui vont à la chasse des chamois,les funambules
les jongleurs? Mais que l’on ôte la balustrade du balcon, qu a droite
et à gauche de la latte nous découvrions un abîme, et nous sommes
perdus ; pourquoi? Est-ce parce que nous sommes hors d’état de marcher
sur la latte ? Nullement, c’est parce que la crainte nous ôte la confiance
dans nos forces.
Maintenant, jugeons le somnambule. Il voit bien ce qu’il a à faire,
mais les organes qui l’avertiroient du danger reposent; donc, il est sans
crainte, et il exécute tout ce que sa souplesse corporelle lui permet
d’entreprendre avec succès. Mais réveillez-le , à l’instant il connoîtra le
danger, et y succombera.
Ce que je viens de dire, suffit pour établir que la nature des rêves
et du somnambulisme fournit de nouvelles preuves en faveur de la pluralité
des organes.
Résumé des sections IV , V, VI.
Après avoir prouvé, dans la première section de ce volume, que les
dispositions morales et intellectuelles sont innées, et que la manifestation
des qualités morales et des facultés intellectuelles n’est possible,
dans cette vie, qu’à l’aide d’instrumens matériels, je me suis appliqué,
dans la section 1 Y , à déterminer les conditions matérielles au moyen
desquelles cette manifestation peut avoir lieu, m’abstenant de toute
discussion sur la nature de l’ame et sur son siège. J’y ai établi une
division des fonctions de la vie animale en deux classes, dont la
première comprend la faculté sensitive, les mouvemens volontaires et
les fonctions des sens ; la seconde, les qualités morales et les facultés
intellectuelles, les penchans et les sentimens. J’y ai établi que le
cerveau est exclusivement l’organe des fonctions de la vie animale de
la seconde classe. J’y ai prouvé que les instincts, les penchans, les aptitudes
industrielles , les sentimens et les facultés, n’ont leur siège ni
dans les viscères et les plexus nerveux et les ganglions de la poitrine ou
du bas-ventre, ni dans les nerfs des sens, et qu’ils ne sont pas déter