
dès qu’un individu semblable se retrouvera au milieu de la société,
on le verra décéler des dispositions humaines, non - seulement par
une imitation prompte des usages sociaux, mais par sa capacité pour
l ’instruction. On ne pourra pas soupçonner, comme on l’a fait pour
les sauvages dont nous venons de parler, que l’individu a adopté la
manière de vivre et les moeurs des bétes sauvages. Le développement
de sa raison changera bientôt son genre de vie ; ou bien s’il
n’y a point de changement, c’est qu’il s’agira d’un imbécile, l’éducation
et les circonstances ne pouvant agir sur l’homme, qu’autant qu’il
possède les dispositions nécessaires, et qu’il y est préparé par son organisation.
3°. Pour éviter de confondre la différence qu’il y a entre les effets
de l’éducation et ceux de l’organisation, il faut savoir que l’influence
de l’éducation , de l ’instruction, des exemples et des circonstances,
a lieu principalement lorsque les dispositions innées ne sont ni trop
lentes, ni trop actives. Tout homme sain ayant l’organisation essentielle
de son espèce, a, par cela même, de la capacité pour tout ce qui
est relatif aux dispositions propres à l’homme. Voilà à quoi la nature s’ëst
bornée pour la plupart des individus. Les individus de cette classe sont
faciles à reconnoître. Ils sont, en quelque sorte, passifs relativement à
l'impression des objets extérieurs ; leurs facultés intérieures ne s’annoncent
pas d’elles-mêmes, elles sont dans un état d’indifférence. Ils ne
repoussent aucune instruction, ils n’en saisissent de même aucune
avec force ; et comme rien ne les entraîne vers un but bien marqué,
ils n’ont, par cela même, aucune vocation déterminée; la médiocrité
est leur partage. Si un de ces individus , dans un point quelconque,
arrive à un certain degré de perfection, il n’y parvient que par un
grand exercice; ainsi l’on doit en conclure que la principale éducation,
dans cette classe, consiste à familiariser les individus avec
l ’occupation qui peut le mieux leur convenir. Il ne faudrait pas croire
cependant que ces hommes, en général médiocres, seront ou moins
heureux que les autres, ou moins utiles à la société. Ils sont, au contraire
, contens de leur sort dans toutes les positions ; ils remplissent
toutes les professions dont l’ordre social ne peut se passer, et partout ils
font leur devoir, dans un atelier ou dans un bureau, près d’une charrue
ou près d’un canon. Ce sont ces hommes qui font le grand nombre , et,
en général, c’est pour eux qu’on doit calculer la plupart des institutions.
Pour ces hommes , sans doute, l’éducation est presque tout ; mais il ne
suit pas de-là que leurs dispositions à recevoir cette éducation ne soient
pas innées. Helvétius ne se comprend pas lui-même, lorsqu’il soutient
‘ que si les dispositions étoient innées , l’éducation ne pourrait
rien changer dans l’homme, ni lui rien donner.
En effet, il ne faut pas s’imaginer que, même pour cetté classe
d’hommes, les impressions étrangères aient une influence exclusive,
absolue et toujours égale. Si l’on parvient à introduire dans une nation
une: certaine uniformité sous le rapport des coutumes, des moeurs ,
des opinions , des professions, des arts et des sciences, des lois et de la
religion, c’est que toutes ces choses sont fondées sur des rapports positifs;
et, dans ce cas, nous ne nions pas l’influence des institutions,
ce qui n’empêche point que les progrès généraux de la civilisation
ne soient, pour la plupart, les produits de l’organisation propre à
l’homme, et ne doivent leur maintien à cette organisation. Mais
au milieu de ces objets positifs qui semblent avoir été introduits par
des institutions, chaque individu diffère d’un autre par son caractère
propre, de même qu’il en diffère par la forme extérieure de son
corps. Quelque qualité est par conséquent donnée à l’un, qui ne l’est pas
à l’autre. Chacun a de la prédilection, ou un talent plus décidé, pour
tel ou tel objet. Il y a donc dans l’homme quelque chose qu’il ne tient
jamais de l’éducation, mais qu’il reçoit de-la nature; aussi tous les
instituteurs ont éprouvé qu’il faut observer pour chaque élève des
règles particulières, si l’on veut perfectionner les qualités qui lui sont
propres, et développer, le mieux qu’il est possible, les facultés qui ne
sont qu’à lui.
Il est évident que l’individualité ne peut être que le produit de
De l’homme, T. I, 33o.