
Pourquoi n’en seroit-il pas de même des qualités de l’homme? Si ,
dès sa naissance, ses qualités intellectuelles et morales n’étoieüt pas
déterminées par sa nature primitive, et si la possibilité de les exercer
n’étoit pas dépendante de son organisation, ce seroit sans aucun but
que son organisation seroit si achevée, et la structure de son cerveau
si parfaite; ou du moins il s’ensuivroit que l'organisation ne détermine
rien ; que chaque organisme, quoique plus ou moins différent
dans chaque individu, se trouve également susceptible de toutes les
espèces d’impressions; enfin que l’homme est uniquement l’ouvrage
des accidens extérieurs, et du hasard qui les produit. Mais alors pourquoi
l’homme ne prend-il pas les facultés de tel ou tel animal, aussi
bien qu’il prend celles de l’homme ? Et comment se fait-il qu’au milieu
des impressions qui lui viennent du dehors, et qui sont si diverses et
si variables, il conserve dans tous les temps, sous tous les climats, et
avec tous les genres de nourriture , les qualités essentielles de son être ?
Si l’homme, comme on le pense, est le jouet des choses extérieures,
comment pouvons-nous jamais espérer de dire quelque chose de positif
sur sa nature? Toutes les recherches à ce sujet ne seroient-elles pas une
occupation frivole ? Une observation vraie sur un individu ne seroit-elle
pas fausse dans un autre ? L ’éducation, les arts,la morale, la législation,
la religion seroient donc des institutions inutiles, puisque c’est d’après
la nature immuable de l’homme que, partout, et dans tous les temps,
le but de ces institutions a été calculé avec plus ou moins de perfection !
Si les antagonistes des dispositions innées persistent à dire que
fhomme étant, dès sa naissance, entouré d’hommes, s’approprie leurs
facultés, nous demandons d’où les premiers hommes, qui n’etoient
entourés que de bêtes, ont pris leurs facultés, et comment ils les ont
créées ou inventées ? Aujourd’hui encore plusieurs hommes ne sont-ils
pas, dans leur enfance, plus entourés d’animaux que d’hommes ? Si les
enfans n’avoient pas les mêmes dispositions que leurs parens et leurs
instituteurs, comment seroient - ils capables de recevoir leur instruction
et de profiter de leur exemple ? Dans les premières années où
les enfans sont presque uniquement entre les mains de leur mère , de
leur nourrice, et des femmes, les garçons se distinguent constamment
des filles, chaque enfant se distingue même d’un autre. Dans la
suite, rien ne peut faire naître une ressemblance entre les facultés de
l’homme et de la femme, ni entre celles des divers individus. Enfin
connoît-on l’art par lequel un instituteur puisse créer dans les enfans
la colère, l ’envie, l’amour, l’orgueil, l ’ambition, la mémoire et
l’esprit? Cette puissance appartient si peu à l ’homme, que lors même
que nous sommes nos maîtres absolus, nous ne pouvons pas éviter
les ehangemens que la suite des années produit dans nos facultés
morales et intellectuelles. Tout confirme donc la vérité de ce que dit
Herder * : «• que l’éducation ne peut avoir lieu que par l’imitation
et l’exercice, conséquemment par le passage de l’original à la copie.
Ce qui suppose que l’imitateur doit avoir la faculté de recevoir
ce qui lui est communiqué, et de le transformer dans sa nature,
comme les mets dont il se nourrit. Mais la manière dont il le reçoit,
la qualité et la quantité de ce qu’il reçoit, le moyen dont il se l’approprie
et dont il l’emploie, voilà ce qui ne peut se déterminer que par
les facultés de celui qui reçoit; d’où il s’ensuit que l’éducation de notre
espèce est, en quelque sorte, le produit d’une action double, savoir:
de celui qui la donne, et de celui qui se l’applique ».
2°. On croit prouver encore que l’homme naît sans facultés et sans
penchans, et qu’il n’acquiert ses facultés morales et intellectuelles que
par l’éducation, en citant l’exemple de quelques sauvages trouvés dans
les bois, qui, n’ayant reçu aucune éducation, n’ont que la brutalité
des animaux, et sont comme privés des facultés humaines.
Cette objection tombe, quand on sait que ces sauvages, trouvés dans
les forêts, sont ordinairementde misérables créatures d’une organisation
imparfaite, comme MM. Roussel * et deTracy3 en font aussi la remarque.
Voici quelle est l’organisation de ces prétendus sauvages : On leur trouve
■ L. c .,T h .I l, S. n 4-
* Système physique et moral de la femme.
3 Idéologie, p. 246.