
surtout à l’époque des évacuations périodiques, des angoisses inexprimables
et la tentation affreuse de se détruire, et de tuer son mari et ses enfans,
qui lui sont infiniment chers. C’est en frémissant de terreur qu’elle peint le
combat qui se livre dans son intérieur entre ses devoirs, ses principes de
religion, et l’impulsion qui l’excite à l’action la plus atroce. Depuis longtemps
elle n’avoit plus le courage de baigner le plus jeune de ses enfans,
parce qu’une voix intérieure lui disoit sans relâche : «Laisse-le couler,
laisse-le couler ». Souvent elle avoit à peine la force et le temps nécessaires
pour jeter loin d’elle un couteau qu’elle étoit tentée de plonger dans son
propre sein et dans celui de ses enfans. Entroit-elle dans la chambre de
ses enfans et de son mari, et les trouvoit-elle endormis, l’envie de les tuer
venoit aussitôt la saisir. Quelquefois elle fermoit précipitamment sur elle
la porte de cette chambre, et elle en jetoit au loin la clef, afin de n’avoir
plus la possibilité de retourner auprès d’eux pendant la nuit, s’il lui arri-
voit de ne pouvoir résister à son infernale tentation.
C’est ainsique ces infortunés passent souvent des années entières dans
une lutte épouvantable. Plusieurs tiennent un journal régulier ou, en parlant
de tout autre objet, ils reviennent sans cesse à leur malheureux état.
Souvent même ils s’écrient avec l’accent du désespoir : Je suis fou | je
suis insensé. Souvent le projet vers lequel ils se sentent entraînés, leur
cause les plus vives angoisses, et pourtant l’idée s’en renouvelle continuellement.
Ils disent, ils écrivent, en pensant à se détruire : Je le
ferai pourtant. Qui croiroit que ces propos, cés écrits qui peignent
si bien le trouble de ces infortunés, ont souvent contribué à faire regarder
leurs actions comme préméditées et faites avec discernement.
Leur folie, disoit-on, n’est que feinte; un fou ne dit pas : je suis
fou , et la folie ne raisonne pas. Ce faux et barbare raisonnement, si
l’on n’y prend garde, peut faire envoyer a 1 échafaud des êtres auxquels
on n’a à reprocher que leur folie.
Quelques-uns de ces malades portent sur eux pendant plusieurs mois,
et même pendant plusieurs années, des instrumens de meurtre, incertains
et irrésolus sur la manière, le lieu, le temps de mettre un terme
à leur vie et à celle de ceux qui leur appartiennent. Leur système nerveux
est chaque jour plus ébranlé; leur pusillanimité et leur foiblesse d’esprit
augmentent sans cesse ; ils s’inquiètent, désespèrent du salut de leur ame,
se considèrent comme des enfans de la réprobation éternelle, ou bien ils
regardent le monde comme une vallée de larmes et de perdition, et ne
forment qu un seul voeu, celui de s’en délivrer et de délivrer ceux qui
leur sont chers. Des-lors, ils font plusieurs tentatives pour briser les liens
qui les retiennent. Quoique leurs mesures soient ordinairement bien
prises, 1 exécution ne leur réussit pas toujours. Il arrive souvent que le
coup qu’ils se sont porté n’est pas mortel, ou qu’en se précipitant d’un
lieu élevé ils ne parviennent pas à se détruire, ou qu’on les tire de l’eau
à temps. Il est bien rarece pendant que de tels accès les guérissent. La
plupart restent mélancoliques et abattus. Au bout de quelques jours, ils
semblent se repentir de ce qu’ils ont fait; ils en sont confus, et pendant
quelque temps ils prennent part aux événemens de la vie. Mais les accès ne
tardent pas à revenir avec une nouvelle violence, jusqu’à ce qu’enfin les
symptômes les plus perfides, tels que les visions, les apparitions, le son
et les ordres de voix étrangères viennent s’y joindre. Ce sont là les pronostics
de l’accès le plus terrible. Si dans un tel accès le malade tue les
personnes qui lui sont chères, il se hâte ordinairement de se détruire lui-
même , ou bien s’il arrive que son accès soit en quelque sorte apaisé par
le sang qu’il a répandu, ou que les coups qu’il s’est portés aient été trop
foibles, ou qu’on l’ait interrompu dans l’exécution, il se livre lui-même
a la justice, et demande la mort qui seule lui fait espérer le terme de ses
souffrances.
Quelquefois cette même maladie est cachée sous un masque en
apparence tout-à-fait différent. La vie est également à charge à ces malades;
mais ils n’ont pas le pouvoir de se donner la mort eux-mêmes; ils cherchent,
par une espèce de contradiction et de confusion dans leurs idées, les
moyens de se la faire donner par d’autres. C’est pour cettefin qu’ils commet -
tent ordinairement un meurtre sur des personnes à leur égard tout-à-fait
innocentes, et même le plus souvent sur des enfans. Ensuite ils vont eux-
mêmes s’accuser, et portent même au juge la malheureuse victime de leur
folie, en demandant la mort avec instance; et si le juge, reconnoissant