Yinnéitédes qualités, on ne pourroif plus regarder comme innés la plupart
des instincts des animaux, tels que de construire des nids, d’entasser
des fruits, d’émigrer, de produire son espèce, etc.; car tous Ces penchans
n’agissent pas immédiatement après la naissance, ni dans toutes les saisons
de l’année. Locke a très-bien senti qu’il ne pourroit pas résister aux
preuves et aux objections tirées du règne animal. Il a cru y répondre
en déclarant ‘ « qu’il n’écrivoit pas une philosophie des animaux » ;
mais il est tombé par - là dans une autre ancienne erreur déjà réfutée,
savoir : que l’homme et les animaux sont régis par des lois dissemblables
, et n’ont rien de commun entre eux. Quand même nous nous arrêterions
à l’homme seul, personne ne nie que le penchant de l’amour ne
soit lié à l’organisation ; et cependant on ne trouve aucune trace de ce
penchant dans l’enfant nouvellement né, n i, en certains cas , dans les
adultes. Si Locke avoit eu des idées plus justes des facultés primitives de
l’ame, il auroit attribué à chaque faculté un organe particulier, conformément
aux lois de la nature ; et s’il avoit su que tous les systèmes nerveux
, et tous les organes se développent non pas en même temps, mais
partiellement ; que chaque organe peut être tantôt actif, tantôt inactif,
il auroit expliqué d’une toute autre manière les observations qu’il a
faites. Il auroit senti que si les enfans n’ont pas encore certaines qualités,
il ne faut pas en conclure que les qualités s’acquièrent, mais
seulement que l’activité des divers organes n’a pas lieu en même-
temps; et, de cette manière, les principes qu’il a établis pour rendre
raison de l’origine des qualités de l’homme, ne se seroient pas trouvés
en contradiction avec les vérités tirées du règne animal.
Si l’on dit que les enfans n’ônt point de passions , on se fait illusion ;
on confond, en tenant ce langage, les objets sur lesquels agissent les
penchans primitifs à différens âges, avec les penchans eux-mêmes, et
l’on confond encore l’existence de ces penchans avec leur manifestation.
Les passions ne sont pas non plus toujours en mouvement chez
les adultes ; peut-on dire, pour cela, que les dispositions primitives
Jj, P., T. I, p. 261,
des passions leur manquent ? Au reste, cet état sans passion des enfans
dont on fait une application si erronnée dans l’art de guérir, surtout
dans la doctrine sur les aliénations mentales, n’est qu’une illusion de
mauvais observateurs. Les enfans, il est vrai, n’ont pas l ’idée d’enlever,
par avidité, le bien des pupilles ; ils n ont pas le désir des conquêtes ; mais
ils se trompent les uns les autres pour des nids d’oiseaux; ils se battent
pour des jouets; ils sont fiers d’être les premiers à l ’école; et le chagrin
de perdre un oiseau qui vient de lui échapper , afflige ^autant un
petit garçon, que pourra l’affliger un jour la perte d’un cheval. Qui n’a
pas observé chez les enfans la colère, la jalousie, l’envie , l’amour du
jeu, 1 avidité , 1 ambition, la sympathie intime, la joie excessive, le
sentiment de la honte, la cruauté , etc.? Ils ont déjà la plupart des
penchans, des affections et des passipns des adultes, et, après l ’enfance,
il ne survient d’autre changement que celui des objets sur
lesquels portent les penchans fondamentaux. Nous ferons voir, dans la
suite de cet ouvrage , quel désordre a occasionné dans la doctrine sur
l’aliénation mentale, ce préjugé généralement adopté, que les enfans
sont sans passions.
S a git-il de tel ou tel principe particulier de morale, nous avons
déclaré, en commençant ce traité, qu’à l’exemple de Locke, nous ne
les regardons pas comme innés. En effet, les circonstances extérieures
influent beaucoup sur la détermination de ces principes ; mais il ne s’ensuit
pas que les qualités essentielles de l’homme ne soient pas le premier fondement
d après lequel il pose des principes de morale quels qu’ils soient.
Que les divers peuples aient des moeurs, des coutumes, des lois, des
cérémonies religieuses différentes, tout cependant repose sur les mêmes
bases. Partout on veut faire, et l’on veut croire ce que l’on regarde comme
juste et vrai ; partout on veut honorer un être suprême; on a partout des
marques d honneur et d’infamie ; il y a partout des maîtres et des servi teurs;
tous les peuples se font la guerre, soit avec des flèches et des
lances, soit avec des canons; les hommes et les femmes s’aiment dans
tous les climats, quelque différentes que puissent être les cérémonies
qui président à leur union; partout on pleure les amis décédés soit