
lieu dans une qualité dont l’activité trop énergique entraîne à des actes
criminels, on peut à peine imaginer un état plus malheureux pour l’individu,
et plus épineux pour le juge; car cet état produit des effets en
apparence si contraires , que, d’un côté , il n’est guères possible de le
distinguer de l’état de raison, et que de l’autre il semble se confondre
avec la folie. Examinons quelques-unes de ces inclinations malheureuses,
et commençons par le penchant au vol.
Victor Amédée I, roi de Sardaigne, prenoit partout des objets de peu
d’importance. Saurin, pasteur de Genève, quoique imbu des meilleurs
principes de la raison et de la religion, succomboit continuellement au penchant
à dérober. Un autre individu fut, dès son bas âge, en proie à cette
inclination. Il entra à dessein dans le militaire, espérant d’étre contenu
par la sévérité de la discipline ; mais ayant continué de voler, il fut sur
le point d’étre condamné à être pendu. Cherchant toujours à combattre
son penchant, il étudia la théologie et se fit capucin. Son penchant le
suivit dans le cloître. Mais comme il ne dérobe plus que des bagatelles,
il se livre à son inclination sans s’en inquiéter. Il prend des ciseaux,
des chandeliers, des mouchettes, des tasses, des gobelets, et les emporte
dans sa cellule. Un employé du gouvernement, à Vienne, àvoitla
singulière manie de ne voler que des ustensiles de ménage. Il loua deux
chambres pour les y déposer ; il ne les vendoit point, et n’en faisoit aucun
usage. La femme du célèbre médecin Gaubius avoit un si fort penchant à
dérober, que lorsqu’elle achetoit, elle chercboit toujours à prendre quelque
chose. Les comtesses à Wesel, et J*** à Frankfort, avoient
aussi ce penchant. Madame de N*** avoit été élevée avec un soin
particulier. Son esprit et ses talens lui assuroient une place distinguée
dans la société. Mais ni son éducation, ni sa fortune ne la garantirent du
penchant le plus décidé pour le vol. Lavater 1 parle d’un médecin qui
ne sortoit pas de la chambre de ses malades sans leur dérober quelque
chose, et qui après n’y songeoit plus. Le soir, sa femme vjsitoit ses poches ;
elle y trouvoit des clefs, des ciseaux, des dés à coudre, des couteaux,
’ Physiognomonie, édit la Haye, T. III, p. 169.
des cuillers, des boucles, des étuis, et les renvoyoit aux propriétaires.
Moritz, dans .son Traité expérimental sur l’ame, raconte, avec le plus
grand détail, l’histoire d’un voleur qui avoit le penchant du vol à un tel
degré, quêtant a 1 article de la mort, il vola la tabatière de son confesseur.
Le docteur Besnard, médecin de sa majesté le roi de Bavière, nous
a parlé d’un Alsacien de sa connoissance, qui commettoit partout des
vols, quoiqu il eut tout en abondance et qu’il ne fût pas avare. Il avoit
été élevé avec soin, et son penchant vicieux lui avoit attiré plusieurs fois
des punitions. Son père le fit enrôler comme soldat. Ce moyen même ne
servit point à le corriger. Il fit des vols considérables, et fut condamné
à éti e pendu. Le fils d un savant célébré nous a offert un exemple semblable.
Il se distinguoit de tous ses condisciples par ses talens ; mais dès
sa tendre enfance, il voloit ses parens, ses frères et soeurs, ses domestiques,
ses camarades et ses professeurs. Il déroboit les livres les plus précieux
de la bibliothèque de son père. On essaya toute sorte de moyens de le
corriger ; on le fit soldat; il subit plusieurs fois les châtimens les plus
rigoureux; mais tout fut inutile. La conduite de ce malheureux jeune
homme étoit régulière sur tous les autres points : il ne justifioit pas ses
vols; mais si on lui adressoit à ce sujet les représentations les plus amicales
et les plus énergiques, il restoit indifférent; il avoit l’air de ne pas les
entendre. L ’aumonier d’un régiment de cuirassiers prussiens, homme
d’ailleurs instruit et doué de qualités morales, avoit un penchant si décidé
au vol, que souvent, à la parade, il déroboit les mouchoirs des officiers.
Son général l’estimoit beaucoup ; mais aussitôt qu’il paroissoit, on
enfermoit tout avec le plus grand soin, car il avait souvent emporté
des mouchoirs, des chemises, et jusqu’à des bas de femme. Au reste
quand on lui redemandoit ce qu’il avoit pris, il le rendoit de bon coeur.
M. Kneisler, directeur de la prison de Prague , nous a parlé de la
femme d’un riche marchand, qui voloit continuellement son mari de ia
manière la plus adroite. On fut obligé de la renfermer dans la maison
de force. A peine en fut-elle sortie, qu’elle vola encore, et fut enfermée
pour la seconde fois. Remise en liberté, de nouveaux vols la firent condamner
à une troisième détention, plus longue que les précédentes. Elle