
doivent être aussi innombrables que les variétés de la manie ? S’ils
sentent la possibilité de rapportera cinq sources principales les illusions
sans nombre, elles innombrables variétés dans les fonctions des sens ;
pourquoi veulent-ils qu’on en agisse autrement, lorsqu’il est question
des innombrables variétés de la manie et des organes de l’ame?
Il en est, dans le fait, des organes de lame comme de toutes les
autres parties intégrantes de notre organisation. Les déviations de l’état
normal sont infinies. L ’oeil voit-il les objets doubles, renversés, enveloppés
d’un brouillard, percés à leur milieu, ne voit-il que la jpoitié
des objets, les voit - il déplacés; toutes ces innombrables variétés
d’anomalies de la vision, sont les suites de lésions dans les fonctions
d’un seul et même organe. De même, toutes les déviations de la fonction
régulière d’un organe de l’ame, sont dues à autant de modifications
possibles qu’a subies cet organe. Le glorieux, le dévot, le voluptueux
ne prennent-ils pas mille formes différentes même dans l’état de santé ;
combien leurs masques ne doivent-ils pas être variés dans l’état de
maladie Ml faudrait des in-folio pour décrire toutes les variétés d’une
seule espèce de manie, par exemple de celle dont la source et 1 essence
sont l’orgueil. ,
Souvent la manie est d’un genre mixte, cest-a-dire le résultat de la
lésion des fonctions de deux ou de plusieurs qualités ou facultés fondamentales.
Lorsque l’orgueil et l ’amour, l’orgueil et la dévotion , l’orgueil
et le penchant à détruire, agissent de concert, les formes doivent
être plus variées que lorsqu’une seule de ces qualités agit isolément.
Quelle confusion enfin ne doit pas régner dans cette manie qui résulte
du dérangement général de tous les organes de l ’ame !
Quant aux idées bizarres, aux rêveries et au délire des aliénés , il ne
serait pas toujours très-difficile de les déchiffrer, si Ion connoissoit
l’éducation du malade, les événemens qui l’ont frappé, les impressions
qu’il a reçues d’objets extérieurs accidentels, ses sensations, le mode
d’association de ses idées, la série de ses idées favorites, son caractère
moral et intellectuel dominant,etc. Certes, une paysannen aura jamais
envie d’un ananas ; personne ne se croira transformé en giraffe, s il n a
jamais vu cet animal. Mais le malade qui, dans l’ardeur de la fièvre, sent
ses liens le blesser, rêve brigands eüassassins qui le tiennent dans les fers ;
il a un bourdonnement dans les oreilles, et il entend des voix inconnues.
Un soldat souffre d’une inflammation dans les environs du
nerf optique, et il voit le canonnier près de la pièce, la mèche allumée
à la main, la.poche de puscreve", cest le coup de canon qui part. Un
chasseur, dans un violent accès de fièvre, seut des douleurs dans les
intestins, et il entend les hurlemens des loups qui dévorent ses entrailles.
Une personne nerveuse et superstitieuse a une eonstriction
périodique dans la gorge; c’est le diable qui veut lui tordre le cou. Le
tragédien Kruys, à Amsterdam, se croit, dans sa manie, le plus atroce
de tous les scélérats ; et écumant de rage contre lui-même , il ne cesse
de se frapper le crâne à coups de poing.
Ainsi donc, tout peut devenir objet de la manie; car c’est une erreur
de soutenir avec M. Esquirol, que ce sont les illusions des sens qui
causent le plft's souvent l’aliénation ou la manie. Ces illusions ne deviennent,
dans le fait, l’objet- de la manie, que lorsque les organes
internes sonf malades: tant que l’homme interne, c’est-à-dire le cerveau,
est sain, toutes les illusions des sens sont reconnues par lui pour des
illusions. Un bourdonnement dans les oreilles reste un bo! rdonnement;
une eonstriction convulsive de la gorge reste une eonstriction convulsive,
tant qfi’un dérangement des organes internes ne les convertit pas
èn voix inconnues et en griffes du diable '. Comme donc ce ne sont pas
les objets extérieurs accidentels qui constituent l’essence de la manie,
c’est perdre son temps que de s’appliquer à tracer des tableaux minutieusement
détaillés de toutes les variétés les plus singulières et les
plus bizarres de l ’aliénation, et d’avoir égard dans les divisions de la
■ « Le napel et l’extrait de chanvre, dit Cabanis. Rapports du physique et du
moral de l’homme, 3'. édition, T. I I, p. 442, peuvent dénaturer entièrement
les sensations de la vue et du tact, et cependant laisser encore au jugement,
assez de liberté pour apprécier cet effet extraordinaire, et le rapporter à sa
véritable cause ».