
mation du corps qui lui sert d’enveloppe ', et dont les autres soutiennent
que les espèces ou s’améliorent, ou dégénèrent sans cesse , de maniéré
que l’homme pourrait descendre au rang du singe , et l’orang-outang
s’élever au rang de l’homme.
9°. On a encore soutenu que l’on peut acquérir tel penchant ou telle
faculté, suivant que l’on porte son attention sur tel ou tel objet, et
selon qu’on exerce telle ou telle qualité. On a été jusqu’à dire qù’il
n’y a pas d’homme bien organisé qui ne puisse exercer son attention
avec toutes les forées et la constance qu’il faudroit employer pour
s’élever au rang des plus grands hommes ’.
On ne peut comprendre ici par l’expression de bien organisés que
les hommes qui ne sont pas nés idiots, d où il s’ensuit qu’en voulant
attaquer les effets de l ’organisation, on reconnoît sa puissance, puisque
la faculté d’étre attentif dont on voudrait faire tout dépendre, dépendrait
elle-même de l’organisation. Nous avons déjà prouvé que tous
les animaux n’ont pas les mêmes qualités, ni tous les hommes les
mêmes degrés dans leurs dispositions communes, pas plus que toutes
les espèces de marbre ne sont propres à sculpter un Apollon ; nous nous
bornerons donc à rappeler la loi que nous ne pouvons assez inculquer,
savoir : qu’il a été établi des rapports déterminés et réciproques entre
l ’intérieur de l’animal et de l’homme, et le monde extérieur. C’est par-la
que tout être vivant a certains points de contact avec les objets extérieurs
déterminés. Plus l’organe extérieur est actif, plus ces points’ de
contact sont nombreux et intimes, et plus encore est grand le rapport
de chaque organe avec l’objet qui lui est assigné. Voilà ce qui explique
pourquoi chaque animal fixe son attention sur des objets déterminés,
et pourquoi chaque homme fixe la sienne plutôt sur tel objet que sur
tel autre. Le chevreuil et le pigeon regardent passer avec indifférence
le lièvre, que le renard et l’aigle guettent avec avidité. L ’enfant fixe
son attention sur des jouets ; et parmi les adultes, l’un prend intérêt
aux idées philosophiques ; l’autre, aux réparties spirituelles; celui-ci,
1 Helvétius, de l’Esprit; Dumas, Physiol. T. IV, p. 12.
aux évènemens qui émeuvent la sensibilité ; celui-là , aux combats san-
glans. De-là la diversité des jugemens que portent les hommes sur
les mêmes objets ; de-là la différence que mettent les voyageurs dans
les descriptions de la même contrée et de la même nation.; et, comme
l ’a si bien observé la Bruyère 1, si chaque lecteur effaçoit ou changeoit
à sa volonté, dans un livre , ce qui répugneroit à son goût, il n’y resteT
roit pas un mot de l’auteur.
Personne, nous le croyons, ne sera tenté de faire émaner de l’attention,
les aptitudes industrielles et les penchaus des animaux; et pourtant
ces aptitudes, ces penchans doivent dépendre d’une cause quelconque.
Qui pourrait soutenir que le castor, l’écureuil, le rat, l’oiseau,
et la larve de l'insecte ne construisent, que parce qu’ils ont dirigé leur
attention vers cet objet ? Qui dira que le lapin, le blaireau, la marmotte,
la taupe, le hamster ne se creusent un terrier, que parce qu’ils en ont
examiné et balancé avec attention les avantages ? Même parmi les hom-
mes, le génie commence ordinairement ses chef-d’ceuvres, comme par
instinct, avant de s’apercevoir de son talent.
Si un organe, par sa débile conformation, n’a que de foibles rapports
avec un objet qui est de son ressort, ou bien s'il y a manque absolu de
1 organisation par laquelle les points de contact sont mis en action avec
un objet déterminé du monde extérieur, l’attention que cet objet pourra
exciter, sera foible,ou même sera nulle. Qui pourra inspirer au cheval de
l ’admiration pour les monumens que nous élevons à la gloire et à l’immortalité
; au bélier de l’attention pour nos arts et nos sciences ? A quoi
sert d’attribuer, avec Vicq-d’Azyr, le défaut d’attention des singes à
leur turbulence? Ne voyons-nous-pas fréquemment que les hommes les
plus lurbulens, lorsqu’ils ne sont pas idiots, fixent leur attention sur
plusieurs objets? La seule véritable explication de ce défaut d’attention
du singe, c est que, par son organisation, qui est tronquée en comparaison
decellede l’homme, la possibilité d’être attentifà certains objets lui a été
refusée. La même chose a lieu pour les enfans à moitié idiots, qui sautent
1 Caractères, T. I , chap. I.