
fausse apparence de la liberté. Peut-on dire que la brebis et le tigre sont
libres, parce que l’une broute l’herbe et que l’autre déchire sa proie avec
plaisir?
La même confusion d’idées qui fait prendre le contentement intérieur
pour la véritable liberté morale, se retrouve dans les deux passages sui-
vans.
Hommel s’exprime ainsi : « Une boule posée sur une planche, se laisse
mouvoir en avant et en arrière, à droite et à gauche. Si la planche est en
repos et d aplomb , la boule reste immobile. Si cette boule avoit la conscience
de son mouvement et non de la cause du mouvement, elle croiroit
qu’elle se meut volontairement ». Leibnitz compare la liberté à une
aiguille aimantée qui éprouveroit du plaisir à se diriger vers le Nord.
Dans ce cas, dit-il, elle s’imagin.eroit aussi qu’elle se meut librement et
indépendamment de toute autre cause, car elle n’apercevroit pas les mou-
vemens imperceptibles du fluide magnétique.
Nos jugemens mêmes, dans une foule de circonstances, se joignent à
un sentiment de contentement, sans être pour cela des résultats de notre
réflexion. Voilà pourquoi nous jugeons différemment le même objet ,
suivant que, d’un instant à l’autre, ce qui s’est passé en nous ou hors de
nous, a produit quelque changement dans notre intérieur. En ce sens,
M. de Lamark a raison de dire ' « que la diversité de nos jugemens èst si
remarquable, qu’il arrive souvent que la considération du même objet
donne lieu à autant de jugemens particuliers qu’il y a de personnes qui
entreprennent de prononcer sur cet objet, qu’on a pris cette variation
pour une liberté dans la détermination -, mais qu’on s’est trompé, qu’elle
n’est que le résultat des élémens divers qui,pour chaque personne, entrent
dans le jugement exécuté ».
C est dans le même sens qu’il faut interpréter le; passage suivant
de M. Feuerbach: « La faculté, dit-il, d’être déterminés par les idées
réaliser un objet ou a agir , est accompagnée de la conscience d’une
activité indépendante , d’une spontanéité absolue. Quand de deux déter-
■ Zoologie philosophique, T. II, p. S45.
minations possibles opposées nous nous décidons enfin pour l’une ou
pour l’autre, que nous rejetons l’une et que nous désirons l’autre
nous croyons, suivant ce que nous enseigne la conscience immédiate
que la cause de ce choix réside entièrement en nous ; que la faculté
de désirer est le principe du désir, et que, sous les mêmes conditions,
elle eût pu se déterminer aussi bien pour une chose que pour une
autre. Quoique nous paroissions aussi, en ce cas, non comme déterminés,
mais comme déterminans, ce sentiment ne nous garantit cependant
pas notre liberté, et nous ne pouvons pas le considérer comme une
preuve de notre indépendance des causes naturelles, sans nous exposer
aux objections fondées des déterministes, et sans contredire la loi naturelle
de l'enchaînement constant des causes et des effets. Ce sentiment
intérieur peut être une illusion. Nous avons seulement ce sentiment de
liberté parce que nous ne découvrons pas les fils secrets qui unissent les
causes aux effets, et qui nous entraînent vers tel ou tel objet ».
Nos observations précédentes montrent en quoi ces passages sont vrais
et en quoi ils sont condamnables. Ces passages n’ont pour objet que la
première partie de notre définition de la liberté morale , savoir , que
l’homme peut être déterminé par des motifs. Mais la possibilité d’être
déterminé ne nous garantiroit pas encore une liberté suffisante. Elle prouve
seulement que l’homme est déterminé à agir aussi bien par ses penchans
ou ses facultés intérieures, que par des motifs qui viennent de dehors.
Ainsi lors même que le caractère inné de l’humanité ne peut pas être
changé, l’action des penchans innés peut être dirigée et appliquée à te!
ou tel objet. La faculté et la nécessité d’être déterminé par des motifs
s’accordent parfaitement avec la nature de l’homme ; tandis qu’une liberté
illimitée et absolue seroit une contradiction avec un être créé et dépendant.
En se bornant encore à cette première partie de notre définition qui n’exprime
qu’une des conditions de la liberté, la responsabilité regarderoit moins
1 individu agissant, que celui qui est chargé de l’éducation et de la direction
de cet individu, et qui, par-là, se trouveroit responsable de la somme
et de la valeur des motifs qui opèrent la détermination pour des actes
bons ou mauvais. Il suit de-là qu’en reconnoissant que l’homme est