
le mécontentement, le plaisir et la douleur, la joie et la tristesse, le
désir, le chagrin, la crainte, la honte , etc., sont autant d’états de l’ame,
que l’animal et l’homme ne déterminent point, mais que l ’un et l’autre
ressentent avant d’y avoir songé. Ces sentimens naissent d'après les
dispositions naturelles de l’animal et de 1 homme, sans aucun concours
de leur volonté; et ils sont la première fois aussi décidés, aussi forts,
aussi vifs, qu’après avoir été souvent répétés. Tout ce qui se passe dans
celte occasion, est un arrangement produit par la nature, et calculé
sur le monde extérieur, pour la conservation de l’animal et de
l’homme, sans qu’il y ait conscience, réflexion , ni participation active
de l ’individu. L’animal et l’homme sont organisés pour la colère , la
haine, le chagrin, la frayeur, la jalousie, etc., parce qu’il y a des
choses et des événemens qui, d’après leur nature, doivent être détestés
ou aimés, désirés ou redoutés.
C est pour cela que les différens états de l’ame et ses diverses affections
, lorsqu ils ont un certain degré d’intensité, sont accompagnés
d’actes extérieurs particuliers, tels que des gestes, des mouvemens ,
des attitudes qui ont lieu involontairement et sans conscience ; mais
qui répondent toujours au but de la nature, à la conservation et aux
besoins de l’individu. On retire les membres en. arrière quand on est
menacé par un objet dangereux, avant d’avoir le temps de songer au
danger et aux moyens d’y échapper. Voit-on un objet prêt à s’écrouler
et que l’on ne peut éviter, l’on courbe le dos.,. avant de penser à la
résistance que l’on offre en prenant cette position. L’enfant qui ignore
■ encore l’existence de sa mère et les soins quelle prend de lu i , pleure
et crie quand il a faim, ou quand il éprouve quelque besoin. Les
petits chiens, quoique privés de l’ouïe pendant les quatorze premiers
jours de leur vie, et quoiqu’ils ne sachent pas que leurs cris sont entendus,
crient cependant, et obtiennent par là que leur mère vienne
à.leur secours. Il en est de même des affections de l’être adulte. L ’expression
et les gestes qui accompagnent ces affections ont été calculés
pour se rapporter uniquement, soit aux objets extérieurs, soit aux êtres
analogues qui entourent l ’animal ou l’homme, et pour produire une
réaction qui tend à les conserver. L’homme et l’animal ne prennent à
cela d’autre part que d’obéir à l’impulsion naturelle qui résulte de leur
organisation.
Lorsque ’homme commence à exercer ses facultés avec un sentiment
distinct de.conscience, de coopération personnelle et de volonté, chacun
est porté à s’imaginer qu’il produit par lui-même ses facultés. Cependant
si l’on se borne d’abord à considérer les qualités communes à l’animal
et à l’homme y la comparaison établie entre eux ne permet pas de révoquer
en doute que ces qualités ne soient innées. Or nous trouvons
dans les animaux une foule de penchans communs à l’homme : celui de
l’amour mutuel des deux sexes, du soin du père et de la mère pour
leurs petits, de l’attachement, des secours réciproques, de la sociabilité
et de l’union conjugale , le penchant à la paix et aux combats, celui
delà douceur et de la cruauté, celui du plaisir que l’on goûte à
être flatté ; celui de l’oubli et du souvenir des mauvais traitemens, etc. ;
nous ne pouvons donc pas supposer que dans l’homme et dans les animaux
ces qualités ; entièrementsemblables, aientune origine différente.
. Admettons que ces qualités soient ennoblies chez l’homme; que le
désir animal de multiplier son espèce soit transformé chez 1 homme
en amour moral; que l’amour des femelles des animaux pour leurs
petits devienne chez les femmes la vertu aimable qui leur fait prendre
soin de leurs enfans ; que l’attachement des animaux se change dans
l’homme en amitié; leur sensibilité aux caresses en ambition et en
sentiment d’honneur ; que du chant du rossignol il résulte chez 1 homme
l’harmonie ; du nid de l’oiseau et de la cabane du castor, des temples
et des palais : nous, verrons toujours que l’élévation graduelle de l’organisation
donne la mesure de l’élévation de ces facultés, et que
l’emploi et la direction de celles-ci acquièrent plus de noblesse à mesure
que des facultés plus élevées se joignent aux premières. L homme
ne présente par conséquent que des phénomènes modifiés, et c’est
faire violence à la raison, que de le placer hors de la nature, et de le
subordonner à des lois essentiellement différentes de celles auxquelles
les facultés primitives communes sont assujéties.