
naissance. Mais de tous côtés les difficultés se multiplient : irrésolues et
flottantes, elles n’envisagent pas assez l’instant fatal, et finissent par trop
compter sur le hasard et les évènemens. Souvent elles sont surprises
plutôt qu’elles ne s’y attendoient ; tous leurs plans sont déconcertés; le
chagrin et les souffrances leur ôtent le jugement. Si leur affaiblissement
n’est pas extrême, elles prennent la fuite au fort des douleurs, accouchent
d’elles-mêmes en quelque lieu que leur effroi et leur confusion les aient
portées à se réfugier, et demeurent évanouies, hors d’état par conséquent
de veiller à ce qui se passe autour d’elles ; e t, en recouvrant leurs esprits,
elles trouvent leur enfant expiré. Doit-on s’attendre à les voir divulguer
leur secret, quand cela n’est plus d’aucune utilité? Leurs penchans les
plus honnêtes ne leur font-ils pas une loi de sauver leur réputation ? Elles
se hâtent donc de dérober, le mieux qui leur est possible , jusqu’aux
moindres traces de l’évènement, bien instruites que, si on vient à le découvrir,
cette conduite déposera contre elles.
« En général, j’ai observé que, plus les femmes se repentoient sincèrement
d’avoir été foibles, plus il étoit difficile de leur en arracher l’aveu,
et cela est naturel. Parmi une foule d’exemples que j’en pourrois citer, je
ferai choix des suivans :
« J’ai une fois disséqué deux filles qui, pendant leur vie, jouissoient
d’une réputation intacte. Appelé pour les soigner pendant leur maladie,
j’avois été dupe de toutes deux. L’une d’elles m’avoit cependant inspiré
quelque défiance, et je m’étois efforcé d’obtenir qu’elle m’avouât ce que
je soupçonnois. Je lui avois promis de faire tout ce qui dépendroit de
moi pour la soustraire aux suites fâcheuses qu’elle pouvoit craindre ; mais
elle avoit opposé un silence opiniâtre à mes tentatives et à mes instances.
L’une et l’autre moururent avec des tranchées affreuses, accompagnées
de convulsions. Lorsqu’on vint pour emporter les corps, on trouva dans
un des lits un enfant mort, et qui n’étoit pas entièrement venu au terme,
étendu auprès de sa malheureuse mère ; l’autre offrit le même spectacle,
hormi que l’enfantement étoit resté imparfait. On voit par là quelle patience
et quel courage la crainte de la honte est capable d’inspirer.
« Une jeune fille enceinte, ayant caché sa grossesse, accoucha d’ellemême
pendant la nuit. Elle fut soupçonnée ; on fit des recherches, et l’on
trouva dans une boîte l’enfant enveloppé de vétemens humides. Elle confessa
1 avoir mis au monde, mais elle nia 1 avoir tue, ou même en avoir eu
l’intention. J’ouvris le corps de l’enfant avec M. Pinkston, et les poumons
surnagèrent lorsque nous les mîmes dans l’eau. La mèré raconta ainsi
son histoire : Elle servoit des maîtres dont sa fidélité lui avoit gagné
l’affection; elle étoit sûre, en les quittant, de leur laisser des doutes qui
les porteroient à ne rien négliger pour découvrir sa situation ; et cette
découverte l’auroit perdue sans retour, à ce qu’elle sefiguroit. Dans cette
angoisse d’esprit, elle demeuroit irrésolue, e t, de jour en jour, plus
incertaine sur la conduite qu’elle pourroit tenir. Elle fit cependant quelques
langes destinés à son enfant, circonstance qui plaidoit en sa faveur ;
elle loua, dans une rue adjacente, une chambre meublée, qu’elle enjoignit
aux hôtes de préparer pour recevoir, au premier moment, une femme
en travail. Son plan étoit d’y courir lorsqu’elle sentiroit les premières
douleurs, et de faire appeler sur le champ une sage-femme; elle seroit
retournée aussitôt après chez ses maîtres, en colorant de son mieux son
absence. Elle avoit entendu parler de femmes de soldats qui, après avoir
accouché derrière une haie, prenoient leur enfant et suivoient leur mari;
elle se croyoit capable d’en faire autant. Durant la nuit qui précéda l’enfantement,
elle éprouva des tranchées ; elle s’habilla, tant pour se maintenir
chaudement, que pour se trouver en état de gagner la chambre qu’elle
avoit louée, si les douleurs augmenloient. Après avoir un peu attendu,
elle fut saisie tout-à-coup d’un chagrin et d’un effroi si violens, qu’ils lui
ôtèrent à-la-fois la force et le courage de descendre et de traverser la rue
dans l’obscurité; En proie au désespoir, elle se laissa retomber sur son
lit, et ne fut pas long-temps sans s’évanouir. Lorsqu’elle revint à elle, elle
se trouva inondée, et vit un enfant mort couché devant elle. Sa première
attention se tourna sur l’enfant. S’étant assurée qu’il étoit véritablement
mort, elle s’assit quelques minutes pour réfléchir sur ce qu’elle devoit
faire, et le jour commençant à paroître, elle se leva, enferma dans une
boîte l’enfant mort et les linges humides, répara le désordre de sa chambre
et se remit au lit.
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