
en service à la campagne, et elle avoit les meilleurs certificats de ses
maîtres. Par malheur, elle fut séduite , devint grosse, et l’étre à qui elle
donnoit la vie, causa sa misère. Elle fut renvoyée de la maison où elle
éloit. On ne voulut la recevoir nulle part à cause de son enfant; elle ne
sut, pendant long-temps, comment elle vivroit elle et cette créature
infortunée, quelle chérissoit avec toute l’affection d’une tendre mère,
et dont elle étoit obligée de maudire l’existence. Enfin un pauvre villageois
et sa femme eurent pitié de son sort, ils prirent l’enfant chez eux,
et en eurent soin pendant trois ans. La mère trouva du service, et se conduisit
très-bien.
« L ’enfant grandissoit, et donnoit beaucoup de satisfaction à son père
adoptif ; il l’aimoit avec la tendresse d’un fils; il en étoit payé de retour.
C’en fut assez pour faire dire aux mauvaises langues que le villageois étoit
l’auteur desjours de cet enfant, dont la mère s’obstinoit à ne point nommer
le père. Le brave homme, qui avoit la conscience de son innocence,
méprisa ces méchans propos; il n’en fut pas de même de sa femme. Il
en résulta des altercations si fréquentes et si désagréables, que le villas
geois, pour avoir la paix, rendit l’enfant à sa malheureuse mère. Elle
pria en vain ses maîtres ; elle leur représenta inutilement quelle les avoit
servis avec une assiduité et une fidélité exemplaires; elle se vit encore, à
cause de cet enfant, congédiée dans la saison la plus rude de l’année.
Tous les autres paysans riches la traitèrent avec la même dureté; elle ne
rencontra plus de pauvre villageois hospitalier. Elle erra de côté et d’autre,
vendant ses chétifs vêtemens pour apaiser sa faim et celle de son enfant,
ne trouvant nulle part ni place, ni secours. L ’enfant dépérissoit ; accablée
et affoiblie par la faim et la douleur, elle invoquoit la mort pour cet être
malheureux et pour elle, comme l’unique remède de leurs maux. Dans
cette lutte entre l’amour maternel pour son pauvre enfant qui mouroit
de faim et de froid , et une voix intérieure qui lui disoit hautement que
la destruction de cet enfant étoit le seul moyen de le sauver; désespérant
de la compassion des hommes, et dans un moment de démence, elle
saisit son enfant, rassemble ce qui lui reste de force, e t, dans la crainte
de le voir mourir lentement d’inanition, elle le porte à la rivière prochaîne;
sourde à ses prières, elle le précipite dans les flots, où il ne
tarde pas de trouver la fin de ses maux. Epuisée, défaillante, elle s’évanouit;
ce fut dans cet état qu’on la trouva. Elle s’accusa aussitôt d’avoir
fait périr son enfant, et elle fut arrêtée.
« Durant sa détention, qui se prolongea un an , pendant que l’on
instruisoit son procès, elle tint la conduite la plus régulière, témoigna
un repentir profond de son action, qui cependant ne lui paroissoit pas
un crime, et attendit son châtiment avec résignation. L ’ecclésiastique
qui la visitait de temps en temps, rapporta qu’elle n’avoit eu aucune espèce
d’instruction, qu’elle n’avoit pas la moindre notion de religion, mais
qu’elle lui sembloit très-docile, très-attentive et très-douce. Les personnes
qui la surveilloient, en rendirent un compte aussi avantageux. Ces divers
motifs engagèrent la régence à adoucir le jugement rendu en première
instance par le tribunal de Leipsig, qui condamnoit cette infortunée à
être décapitée. Cette peine fut commuée en une détention à vie dans une
prison où elle ne seroit pas traitée avec trop de rigueur, et où on lui
enseigneroit sa religion. Elle apprit à lire avec une application et une
facilité extraordinaires, et saisit avec promptitude tout ce qu’on lui
montra ; de sorte qu’outre la tâche qui lui est imposée, et qu’elle remplit
facilement, elle récite par coeur textuellement et sans hésiter, beaucoup
de cantiques spirituels, le catéchisme, et plusieurs chapitres de la Bible.
Elle est une des prisonnières dont on se loue le plus. »
Dans la prison de Celle, nous examinâmes une autre prisonnière coupable
d’infanticide. Nous lui trouvâmes l’organe de l’amour maternel
également bien développé. M. Bergk a inséré cette histoire dans son
Recueil de causes célèbres, T. II. Cette malheureuse avoit de même
été entraînée par la nécessité la plus pressante à exposer son enfant.
Certes! s’il n’étoit pas si pénible à une mère de se résoudre à une action
semblable, les infanticides, suite des grossesses illégales et de la perfidie
des hommes , seroient infiniment plus fréquens. On conçoit quelle est la
violence des impulsions qui portent à commettre un acte semblable,
lorsque l’on considère que l’inclination delà mère pour sesenfans, souvent
muette pendant la grossesse, devient singulièrement active1 et éner-
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