
Pour prouver que le siège, tant des fonctions de l’ame que de leur
dérangement, est dans le cerveau, j’ai cité plusieurs cas dans lesquels
des lésions du cerveau ont été suivies de dérangemens dans ses fonctions.
L ’on prétend pouvoir m’opposer un nombre égal de cas observés,
où les lésions les plus majeures du cerveau n’ont pas entraîné le moindre
dérangement dans les facultés mentales. Un homme reçut un coup de
feu dans la tête , la balle s’arrêta dans le cerveau, après sa mort on la
trouva sur la glande pinéale, à peu près dans le milieu de la masse
cérébrale. Cependant, cet homme avoit vécu plusieurs années sans
éprouver le moindre affoiblissement de ses facultés mentales '. Un
garçon de huit ans eut la tête fracassée d’un coup de pied de cheval;
il sortit des morceaux de la substance corticale, plus gros qu’un oeuf
de poule; cet individu fut guéri de sa blessure, et ses facultés mentales
ne souffrirent en rien \ Un autre garçon de sept ans tomba de cheval,
et se fit une large ouverture à la têje, dont il sortit des excroissances
du cerveau, qui se renouveloient sans cesse ; ses facultés mentales ne
subirent pas la moindre altération, et cependant les ulcères avoient
pénétré jusque dans la substance du cerveau s, Un jeune homme de
quinze ans reçut un coup de pierre à la tête ; le cerveau se noircit, et
pénétra hors de la plaie; étant pris de vin, il arracha l’appareil qui
entraîna une grande partie du cerveau ; on le trouva vicié presque
jusqu’à la grande commissure des deux hémisphères ; le malade
fut paralysé , mais ses facultés mentales n’avoient pas souffert le
moins du monde 4. Une fille de treize ans , dans un violent accès de
crampes, perdit deux onces de substance cérébrale par une blessure
à la tête imparfaitement cicatrisée, qui se rouvrit ; elle fut, à la vérité,
paralysée de tous ses membres; mais elle conserva le jugement et la
faculté de parler jusqu’au cinquième jour où elle mourut5: Un garçon
■ Mémoires de l'Académie de chirurgie , T. I, p. 134,
* ibidem, p. 126.
3 Van Swieten, T. I , p. 44°-
4 Mémoires de l’Académie de chirurgie, T. I , p. 2. — i 5o,
. 5 Medical Essai.— T. I I , p. 245. -r- 249.
qui avoit une blessure à la tête, perdit, dans l’espace de quatre mois
une quantité considérable de cerveau , par des excroissances ( furmus
cerébri) que l’on coüpoitsouvent; à l’endroit delà blessure, la partie
corticale étoit entièrement détruite ; l’espace, en partie vide, étoit
entièrement noyé de pus , et cependant le blessé parla raisonnablement
jusqu’au moment de sa mort '.
On a recueilli soigneusement de semblables exemples, soit parce qu’ils
contredisent les principes reçus de certains physiologistes, soit parce
qu’on aime le merveilleux, et qu’on ne sest pas assez pénétré du principe
: que l’exercice des facultés intellectuelles est 'impossible sans organisation,
et particulièrement sans l’organisation du cerveau.
Les cas, dit-on, où les facul tés mentales étoient troublées d’une manière
très-frappante , et où cependant l’on n’a découvert aucun vice dans le
cerveau, sont tout aussi fréquens. On cite d’autres cas encore, où une
irritation qui avoit son siège dans l’estomac, dans les intestins , dans le
foie, enfin dans une partie autre que le cerveau, a produit des dérange-
mens considérables dans les facultés mentales \ L’on conclut de tous
ces faits, que si une lésion ou une maladie du cerveau entraîne des dé-
rangemens dans les facultés mentales, cela ne nous autorise nullement
à en conclure que le cerveau est exclusivement le siège de ces'facultés.
Pour rectifier ces faits, en partie vrais, en partie faux, et contradictoires
en apparence, il faudroit commencer par résoudre les deux
questions suivantes: i°. Étoit-on capable, jusqu’ici, de déterminer avec
exactitude les vices , les lésions et les maladies du cerveau? 2°. Étoit-on
capable d’en bien apprécier lés effets ?
1 Van-Swieten , T. I , p. 44°-
* Pinel, de l’Alien. ment. p. 453 et 454.
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