Mais pour jouir de cet instinct dans toute son
étendue , il faut que rien n’afïbibhsse les facultés
dont il est le résultat. Elles s’émoussent cependant,
ces facultés, lorsque la température des eaux qu’ils
habitent devient trop froide, et que le peu de chaleur
que leur respiration et leurs organes intérieurs
font naître, n’est point suffisamment aidé par une
chaleur étrangère. Les poissons qui vivent dans la
mer ne sont point exposés à ce froid engourdissement,
à moins qu’ils ne s’approchent trop de certaines côtes
dans la saison où'les glaces les ont envahies. Ils trouvent
presque à toutes les latitudes , e t. em-s elévant
ou s’abaissant plus ou moins dans l’océan, un degré
de chaleur qui ne descend guère au dessous de celui
qui est indiqué par douze sur le thermomètre dit de
Réâumur *. Mais dans-les fleuves, dans les rivières ,
dans les lacs, dont les eaux de plusieurs , sur-tout en
Suisse, font constamment descendre le thermomètre,
suivant l’habile observateur Saussure , au moins jusqu a
quatre ou cinq degrés au dessus de zéro ,. les poissons
sont soumis à presque toute l’influence des hivers,
particulièrement au présides pôles. Ils ne peuvent que
difficilement se soustraire à cette torpeur, à ce sommeil
profond dont nous avoùs tâché d’exposer les causes,
* Voyez le quatrième volume des Voyages du respectable et célèbre
Saussure, et l’ouvrage de R. Kirwan , de la société de Londres , sur
l ’estimation de la température de différens degrés de latitude. Cet ouvrage
a été traduit en françois par le citoyen Adet.
SUR LA NATURE DES POISSONS, cxxxiij
la nature et les effets, en traitant des quadrupèdes
ovipares et des serpens. C’est en vain qu’à mesure
que le froid pénètre dans leurs retraites, ils cherchent
les endroits les plus abrités, les plus éloignés d’une
surface qui commence a se geler, qu ils creusent quel—
quefois des trous dans la terre, dans le sable, dans la
vase, qu’ils s’y réunissent plusieurs, qu’ils s’y amon-
cèlent, qu’ils s’y pressent; ils y succombent aux effets
d’une trop grande diminution de chaleur; et s’ils ne
sont pas plongés dans un engourdissement complet,
ils montrent au moins un de ces degrés d’affoiblissement
de forces que l’on peut compter depuis la diminution
des mouvemens;extérieurs jusqu’à une très-grande
torpeur. Pendant ce long sommeil d’hiver, ils perdent
d’autant moins de leur substance, que leur engourdissement
est plus profond f et plusieurs fois on s’est
assuré qu’ils n’avoient dissipé qu’environ le dixième
de leur poids.
Cet effet remarquable du froid, cette sorte de maladie
périodique, n’est pas la seule a laquelle la nature
ait condamné les poissons. Plusieurs espèces de ces
animaux peuvent, sans doute , vivre dans des eaux
thermales échauffées à un degré assez élevé, quoique /
■ cependant je pense qu’il faut modérer beaucoup les
résultats des observations que l’on a faites à ce sujet;
mais en général les poissons périssent, ou éprouvent
un état de mal-aise très-considérable, lorsqu’ils sont
exposés à une chaleur très-vive et sur-tout très-soudaine.