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culiers, présentent presque entièrement la même substance,
la même couleur, et la même forme, que les
oeufs des raies; mais leurs quatre angles, au lieu de
montrer de courtes prolongations, sont terminés par
des filamens extrêmement déliés, et si longs, que nous,
en avons mesuré de cent sept centimètres (près de quarante
pouces) de longueur, dans lès coins d’une coque-
qui n’avoit que huit centimètres dans sa plus grande-
dimension
Lorsque le requin est sorti de son oeuf, et qu’il a
étendu librement tous ses membres, il n’a encore que-
près de deux décimètres, ou quelques pouces, de longueur;
et nous ignorons quel nombre d’années doit-
s’écouler avant qu’il présente celle de dix mètres, ou
de plus de trente pieds. Mais à peine a - t - il atteint
quelques degrés de-cet immense développement , qu’il
se montre avec toute sa voracité. Il n’arrive que lentement,
et par des différences très-nombreuses, au plus
haut point de sa grandeur et de sa puissance : mais il
parvient, pour ainsi dire, tout d’un coup a la plus
grande intensité de ses appétits véhémens ; il'n ’a pas
encore une masse très-étendue à entretenir., ni des
armes bien redoutables pour exercer ses fureurs, et
déjà il est avide de proie:.la férocité est son essence et;
devance sa force.
* Nous avons fait graver un dessin d’oeuf de roussette* L ’enveloppe de ce.
squale est.presque en tout semblable à celle du requin.
Quelquefois le défaut d’ali mens plus substantiels
l’oblige à se contenter de sépies, de mollusques, ou
d’autres vers marins : mais ce sont les plus grands animaux
qu’il recherche avec le plus d ardeur ; et, par une
suite de la perfection de son odorat, ainsi que de la
préférence qu’elle lui donne pour les substances dont
l’odeur est la plus exaltée, il est sur-tout très-empressé de
courir par-tout où l’attirent des corps morts de poissons
ou de quadrupèdes, et des cadavres humains. Il
s’attache, par exemple, aux vaisseaux négriers, qui, malgré
les lumières de la philosophie, la voix du véritable
intérêt, et le cri plaintif de l’humanité outragée, partent
encore des côtes de la malheureuse Afrique. Digne
compagnon de tant de cruels conducteurs de ces funestes
embarcations, il les escorte avec constance, il les
suit avec acharnement jusques dans les ports des colonies
américaines, et, se montrant sans cesse autour des
bâtimens, s’agitant à la surface de l’eau, et, pour ainsi
dire, sa gueule toujours ouverte, il y attend, pour les
engloutir, les cadavres des noirs qui succombent sous le
poids de l’esclavage, ou aux fatigues d’une dure traversée.
On a vu un de ces cadavres de noir, pendre
au bout d’une vergue élevée de plus de six mètres
(vingt pieds) au dessus de leau de la mer, et un requin
s’élancer à plusieurs reprises vers cette dépouille, y
atteindre enfin, et la dépecer sans crainte membre par
membre *. Quelle energie dans les muscles delà queue
* .Manuscrits de Commerson,