les femelles se sont-elles débarrassées du poids qui les
tourmentoit, que quelques unes dévorent une partie
des oeufs quelles viennent de pondre, et c’est ce qui a
donné lieu à 1 opinion de ceux qui ont cru que certaines
femelles de poissons avoient un assez grand soin de
leurs oeufs pour les couver dans leur gueule : d’autres
avalent aussi avec avidité la liqueur laiteuse des mâles,
à mesure qu’elle est répandue sur des oeufs déjà déposés
, et voilà l’origine du soupçon erroné auquel
n’ont pu se soustraire de modernes et de très-grands
naturalistes, qui ont cru que les poissons femelles,
pourroient bien être fécondées par la bouche. Le plus
grand nombre de femelles abandonnent cependant
leurs oeufs dès le moment quelles en sont délivrées:
moins contraintes dans leurs facultés , plus libres dans
leurs mouvemens, elles vont, par de nouvelles chasses,
réparer leurs pertes et ranimer leurs forces.
C’est alors que les mâles arrivent auprès des oeufs
laissés sur le sable ou le gravier : ils accourent de très-
loin, attirés par leur odeur; un sentiment assez vif
paroît même les animer. Mais cette sorte d’affection
n’est pas pour des femelles déjà absentes : elle ne les
entraîne que vers les oeufs qu’ils doivent féconder. Ils
s’en nourrissent cependant quelquefois, au lieu de chercher
à leur donner la vie; mais le plus souvent ils
passent et repassent au dessus de ces petits corps organisés,
jusqu’à ce que les fortes impressions que les
émanations de ces oeufs font éprouver à leur odorat, le
S U R L A N A T U R E D E S P C T t S SONS . xciij
premier de leurs sens , augmentant de plus en plus le
besoin qui les aiguillonne , ils laissent échapper de
leurs laites pressées le SUc actif qui va porter le mouvement
dans cés oeufs encore inanimés. Souvent même
l’odeur de ces oeufs est si sensible pour leurs organes,
quelle les affecte et les attire » pendant que ces petits
corps sont encore renfermés dans le ventre de la mère-
on les voit alors se mêler avec les femelles quelque temps
avant la ponte, et, par les différens mouvemens qu’ils
exécutent autour d’elles, montrer un empressement
dont on pourroit croire ces dernières l’objet, mais qui
n’est cependant dirigé que vers*le fardeau quelles
portent. C’est alors qu’ayant un désir aussi vif de se
débarrasser d’une liqueur laiteuse très-abondante, que
les femelles de' se délivrer des oeufs encore renfermés
dans leurs ovaires, ils compriment leur ventre, comme
ceà mêmes femelles, contre les cailloux, le gravier et le
sable , et, par les frottemens fréquens et variés qu’ils
éprouvent contre le fond des eaux, paraissent, en ne
travaillant que pour s’exempter de la douleur; aider
cependant la mère auprès de laquelle ils se trouvent,
et creusent, en effet, avec elle, et à sescôtés, le trou
dans lequel les oeufs seront réunis.
Ajoutons à ce que nous venons d’exposer, que l’agitation
des eaux ne peut empêcher que très-rarement
la liqueur séminale du mâle dé vivifier les oeufs
parce qu’une très-petite goutte de cette liqueur blanchâtre
suffit pour en féconder un grand nombre.