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que la supériorité resteroit à ce dernier, si l’on pouvait
comparer le requin et le très-grand, parvenus l’un
et l’autre à leur entier développement. L’opinion contraire
n’a été adoptée que parce que le très-grand,
beaucoup moins répandu dans les mers que le requin,
ne s’éloigne guère du cercle polaire. Beaucoup moins
troublé, poursuivi, attaqué, dans les mers glaciales et
reculées qu’il préfère, il y parvient assez fréquemment
à un degré d’accroissement très-avancé; et, à proportion
du nombre des individus de chaque espèce, il est
par conséquent moins ordinaire de rencontrer de vieux
requins que de vieux squales très-grands. D’ailleurs,
on a presque toujours regardé la longueur de dix
mètres , ou de trente pieds, comme la limite de la grandeur
pour le requin; et ce dernier poisson nous paroît,
d’après tout ce que nous avons dit, pouvoir présenter
même aujourd’hui, çt dans des parages peu fréquentés,
une dimension beaucoup plus étendue.
Mais si le très-grand ne doit être placé qu’après le
requjn dans l’ordre des grandeurs et des forces, il précède
tous les autres squales, et c’est vers trente pieds
qu’il faut supposer l’accroissement ordinaire de cet
animal. Les habitudes et la conformation de ce poisson
ressemblent beaucoup à celles du requin; mais il en
diffère par les dents, qui ne sont pas dentelées, et qui,
beaucoup moins aplaties que celles de presque tous les
autres squales, ont un peu la forme d’un cône, ün en
trouve de pétrifiées, mais beaucoup plus rarement que
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de' celles du requin. La seconde nageoire du dos, plus•
petite que la première^est d’ailleurs placée plus près
de la tête que la nageoire de l’anus ; et enfin l’on voit
de chaque côté de la queue, et près de sa nageoire,
une sorte d’appendice, ou de saillie longitudinale et
comme carénée. Au reste, la peau est, comme celle du
requin, épaisse, forte, tuberculeuse, et âpre au toucher.
Nous venons de voir que le très-grand ne quiltoit
guère les mers glaciales et arctiques. Cependant des tempêtes
violentes, la poursuite active d’une proie, la fuite
devant un grand nombre d’ennemis, ou d’autres acci-
déns, le chassent quelquefois vers des mers plus tempérées.
Nous citerons, entre plusieurs exemples de ces migrations,
celui d’un squale très-grand dont j’ai vu la dépouille^
Paris en 1788, et dont on y montra au public
la peau préparée sous le nom de peau de baleine, jusqu’à
ce que le propriétaire de cette dépouille m’eût
demandé le véritable nom de cet animal. Ce poisson
avoit échoué sur le sable à Saint-Cast, près de Saint-
Malo, en décembre 1787. Il fut remorqué jusqu’à ce
dernier port, où il fut acheté par le .citoyen Delattre,
de qui je tiens ces détails. Au moment où ce poisson
fut pris, il avoit trente-trois pieds de longueur totale,
sur vingt-quatre pieds de circonférence à l’endroit de sa
plus grande grosseur*. Mais la dessiccation et lés autres
préparations tpie l’on fut obligé de faire subir à la
* Lettre du citoyen Delattre au citoyen La Cepède, du ao août 1788.