Indépendamment de la petite houppe qui orne le
bout du museau du mâle, et dont nous avons parlé,
il ay au devant des nageoires ventrales, deux espèces
de petits pieds, ou plutôt d’appendices, garnis d’ongles
destinés à retenir la femelle dans l’accouplement. La
chimère s’accouple donc comme les raies et les squales;
les oeufs sont fécondés dans le ventre de la mère, et l’on
doit penser que le plus souvent ils éclosent dans ce
même ventre, comme ceux des' squales et des raies:
mais ce qui est plus digne de remarque, ce qui lie la
classe des poissons avec celle des serpens, et ce qui
rend les chimères des êtres plus extraordinaires et plus
singuliers, c’est que, seules parmi tous les poissons
connus jusqu’à présent, elles paroissent féconder leurs
oeufs non seulement pendant un accouplement réel,
mais encore pendant une réunion intime, et par une
véritable intromission. Plusieurs auteurs ont écrit en
effet que les chimères mâles avoient une sorte de verge
double ; èt j’ai vu sur une femelle assez grande, un peu
au-delà de l’anus, deux parties très-rapprochées, saillantes,
arrondies; assez grandes,, membraneuses, plis-
sées, extensibles, et qui présentoient chacune l’origine
d’une cavité que j ’ai suivie jusques dans l’ovaire correspondant.
Ces deux appendices doivent être considérés
comme une double vulve destinée à recevoir le double
membre génital du mâle; et nous devions d’autant plus
les faire connoître', que cette conformation, très-rare
dans plusieurs classes d’animaux, est très-éloignée de
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celle que présentent le plus souvent les parties sexuelles
des femelles des poissons.
La chimère arctique, cet animal extraordinaire par
sa forme, vit, ainsi que nous l’avons dit au commencement
de cet article, au milieu de l’Océan septentrional.
Ce n’est que rarement qu’il s’approche des
rivages; le temps de son accouplement est presque le
seul pendant lequel il quitte la haute mer : il se tient
presque toujours dans les profondeurs de l’Océan, où
il se nourrit le plus souvent de crabes, de mollusques,
et des animaux à coquille; et s’il vient à la surface de
l’eau, ce n’est guère que pendant la n uit, ses jeux
grands et sensibles ne pouvant supporter qu’avec peine
l’éclat de la lumière du jour, augmenté par la réflexion
des glaces boréales. On l’a vu cependant attaquer ces
légions innombrables de harengs dont la mer du nord
est couverte à certaines époques de l’année, les poursuivre,
et faire sa proie de plusieurs de ces foibles animaux.
Au reste, les Norwégiens, et d’autres habitans des
côtes septentrionales., vers lesquelles il s’avance quelquefois,
se nourrissent de ses oeufs, et de son foie, qu’ils
préparent avec plus ou moins de soin.