objet étranger. D’ailleurs ceux des poissons dont le
corps alongé ressemble beaucoup par sa forme à celui
des serpens , et dont la peau ne présente aucune écaille
facilement visible, peuvent, comme les reptiles, entourer
même par plusieurs anneaux les objets dont ils
s’approchent; et alors non seulement l’impression communiquée
par une plus grande surface est plus fortement
ressentie, mais les sensations sont plus distinctes,
et peuvent être rapportées à un objet plutôt qu a un
autre. On doit donc dire que les poissons ont reçu un
sens du toucher beaucoup moins imparfait qu’on n’a
pu être tenté de le croire; il faut même ajouter qu’il
n’est, en quelque sorte, aucune partie de leur corps
qui ne paroisse très-sensible à tout attouchement; voilà
pourquoi ils s’élancent avec tant de rapidité lorsqu’ils
rencontrent un corps étranger qui les effraie : et quel
est celui qui n’a pas vu ces animaux se dérober ainsi,
avec la promptitude de 1 éclair, a la main qui corn—
mençoit à les atteindre?
Mais il ne suffit pas, pour connoître le degré de sensibilité
qui a été accordé à un animal, d’examiner
chacun de ses sens en particulier : il faut encore les
comparer les uns avec les autres; il faut encore les
ranger suivant l’ordre que leur assigne le plus ou le
moins de vivacité que chacun de ces sens peut offrir.
Plaçons donc les sens des poissons dans un nouveau
■ point de vue ; et que leur rang soit marqué par leur
activité.
Il n’est personne qui, d’après ce que nous venons
de dire, ne voie sans peine que l’odorat est le premier
des sens des poissons. Tout le prouve, et la conformation
de l’organe de ce sens , et les faits sans nombre
consignés en partie dans cette histoire, rapportés par
plusieurs voyageurs, et qui ne laissent aucun doute
sur les distances immenses que franchissent les poissons
attirés par les émanations odorantes de la proie qu ils
recherchent, ou repoussés parcelles des ennemis qu’ils
redoutent. Le siège de cet odorat est le véritable oeil
des poissons; il les dirige au milieu des ténèbres les
plus épaisses , malgré les vagues les plus agitées, dans
le sein des eaux les plus troubles, les moins perméables
aux rayons de la lumière. Nous sayons, il est vrai ,
que des objets de quelques pouces de diamètre, placés
sur des fonds blancs ; à trente ou trente-cinq brasses
de profondeur, peuvent êtreapperçus facilement dans
la mer *; mais il faut pour cela que l’eau soit très-calme:
et qu’est-ce qu’une trentaine de brasses, en comparaison
des gouffres immenses de l’Océan, de ces vastes
abymes que les poissons parcourent, et dans le sein
desquels presque aucun rayon solaire ne peut parvenir,
sur-tout lorsque les ondes cèdent à l’impétuosité des
vents, et à toutes les causes puissantes qui peuvent, en
les bouleversant, les mêler avec tant de substances
* Notes manuscrites communiquées au citoyen la Cepède par plusieurs
habiles marins, et principalement par feu son ancien collègue le courageux
Kersaint,