
 
		LE  P O L Y P T È R E   BICHIR. 
 P O L Y P T E R U S   B l C H I R . 
 Planche  y . 
 J e  n'aurais  découvert  en  Égypte  que  cette  seule  espèce,  quelle  me  dédommagerait  
 des  peines  qu’un  voyage  de  long  cours  entraîne  ordinairement  :  car  je  
 ne  connois  pas  d’animal plus singulier,  plus  digne  de  l’attention  des  naturalistes,  
 et  qui,  montrant  combien  la  nature  peut  s’écarter  de  ses  types  ordinaires,  soit  
 plus  susceptible  d’agrandir  la  sphère  de  nos  idées  sur  1 organisation. 
 Il n’y a guère que l’ornithorhynque qu’on pourroit placer sur la meme ligne, pour 
 la  singularité  de  ses  formes. 
 Le  bichir paroît en effet  comme  un composé  d’élémens  qu’on ne  rencontre que  
 dans  des  animaux  fort  différens  les  uns  des  autres.  Il  tient  des  serpens  par  son  
 port,  sa  forme  alongée  et  la nature  de  ses tégumens;  des  cétàcées,  en ce  quil  est  
 pourvu  d’évents  ou  d’ouvertures  dans  le  crâne,  par  où  s’échappe  l’eau  qui  a  été  
 portée  sur  les  branchies;  et  des  quadrupèdes,  par  des  extrémités  analogues  aux  
 leurs,  les nageoires ventrales  et pectorales étant placées à la suite de prolongations  
 charnues.  ( 
 Sa queue est beaucoup  trop  courte, tandis qu’elle est si longue dans les poissons,  
 qu’elle  y  supplée  au  défaut  de  liberté  et de  grandeur des membres, et y devient  le  
 principal  instrument  du mouvement progressif. 
 Aucun  n’a  l’abdomen  d’une  aussi  grande  dimension. 
 Le  bichir  est  enfin  si  remarquable  par  le  grand nombre  de  ses  nageoires  dorsales  
 ,  que  c’est  cette  considération  qui  nous  a  fourni  les  élémens  de  son  nom 
 générique  de  polyptère. 
 Tant de  singularités  feront excuser  les détails dans lesquels nous allons entrer. 
 §.  m 
 D es  Tégumens  du  Bichir. 
 L e  bichir  est  couvert  d’écailles  fortes  et  impénétrables,  qui le  défendent également  
 de  tout  contact  funeste  et  de  la  dent  des  animaux  qui  seroient  tentés  de  
 l’attaquer.  Cette  solidité  provient d’une matière osseuse qui  double chaque  écaille  
 en  dessous,  et  qui  est  si  épaisse et  si  compacte,  que  la  plupart  de  nos instrumens  
 tranchans  ne  parviennent  quavec  peine  a  1 entamer. 
 Considérées  dans  leur  ensemble,  les  écailles  paraissent  carrées  et  disposées  
 comme  dans  les  serpens ; mais,  si  on  les  examine  séparément ,  on  trouve  quelles  
 ressemblent  à  un  fer  de  bêche,  et  qu’elles  s’engrènent  les  unes  dans  les  autres, 
 de façon que la portion  excédante  en  arrière,  ou  leur  queue,  est  reçue  en  partie  
 dans  une  dépression  qui  lui  correspond,  et  dont le  lieu  est  à  l’extrémité  opposée  
 et  à  la  face  interne  de  l’autre  écaille. 
 Ces  écailles sont  disposées  par rangées;  et  les  diverses  rangées,  ainsi engrenées,  
 forment autant de bandes qui s’étendent  obliquement  d’avant  en  arrière. Elles  sont  
 à  recouvrement,  de manière  que  la  première  pose  sur  la  seconde,  celle-ci  sur  la  
 troisième,  et  ainsi  de  suite:  glissant  ainsi  les  unes  sur  les  autres,  elles  se  prêtent  
 sans  difficulté  à  tous  les  mouvemens  imprimés  par  le  système  musculaire. 
 La  bande  d’un  côté  forme,  avec  sa  congénère  du-  côté  opposé,  un  angle  de  
 quatre-vingts  à  quatre-vingt-dix  degrés,  selon  que  le  bichir  s’alonge  ou  se  raccourcit. 
   L ’écaille  sur  laquelle  ces  deux  bandes  aboutissent,  est  nécessairement  
 d’une  structure  particulière  et  symétrique,  puisqu’elle  leur  sert  également  de  
 point  d’appui. 
 II  suit  aussi  de ce qu’elle  occupe  la  ligne  moyenne  et  qu’elle  forme  comme  le  
 premier anneau d’une double  chaîne,  que  son engrenage est  d’une  solidité moindre  
 que  celui  des autres  écailles ;  mais  il n’en  résulte pas  toutefois que  le  bichir soit au  
 moins  vulnérable  à  la  ligne  moyenne  du  dos,  où  il  y  a  en  effet  une  série  de  ces  
 écailles  centrales  : un  mécanisme  admirable  supplée  à  la  foiblesse  de  leur  engrenage, 
   la  ligne  qu’elles  forment  étant  défendue  par  une  file  de  seize  à  dix-huit  
 dards.  Cette  puissante  armure-est  fournie  par  les  principales pièces  ou  les  rayons  
 osseux  des  nageoires  dorsales. 
 La  tête  est  également  sous  la  protection  de  larges  boucliers  ou  de  grandes  
 plaques  d’une  solidité  parfaite ;  elles  rappellent  en  cet  état  l’organisation  des  
 crustacées,  sous  ce  point  de  vue  que  les muscles  qui  soulèvent  quelques-unes  de  
 ces  plaques,  sont  interposés  entre  les  feuillets  osseux  de  la  superficie  du  crâne  et  
 les  os  de  l’intérieur  de  la  bouche. 
 En  général,  le  bichir  ne  pouvoit  être  pourvu  d’une  cuirasse  qui  fût  à-la-fois  
 plus  solide  et  qui  l’embarrassât  moins  dans  ses  mouvemens. 
 S.  II. 
 D e   ses  Nageoires  dorsales. 
 Si de ces  considérations  nous  passons  à  celles  que nous présentent  les nageoires  
 dorsales, nous n’avons pas moins  sujet  de nous étonner. Leur nombre,  leur forme,  
 leur  attache,  leur  usage,  et  l’insertion  des  rayons  cartilagineux,  sont  autant  de  
 faits  qui  se  présentent  pour  la  première  fois  à  l’ichthyologiste. 
 On  compte  au  plus,  dans  certaines  espèces,  jusqu’à  trois  de  ces  nageoires;  
 lè bichir  nous  en  montre  de  seize  à  dix-huit. 
 Une  pièce  osseuse  ( i) ,  disposée  en  une  lame  longue,  posée  transversalement  
 et  terminée  à  un  bout  par  deux  pointes,  et  à  l’autre  bout  par  une  double  tubérosité  
 en  forme  de  condyle,  est  la  principale  pièce  de  chacune  de  ces  nageoires. 
 (i)  Voyez planche y ,  fig.  j ,  2  et 3 ,   en  d ,   a ,  d.