Hérodote s’est-il contredit en parlant de la couleur du plumage de la tête et
du cou, après avoir dit que ces parties étoient nues ! M. Larcher répond ( i ) que,
d’après le texte même d’Hérodote, elles ne l’étoient pas complètement; mais il
faut encore distinguer les deux âges. Lorsque ces parties ont des plumes, celles
du sommet de la tete, des joues, et du derrière du cou, sont d’un noir à reflets,
quelques-unes bordées de blanc; celles de la gorge sont de cette dernière couleur.
Lorsqu’elles n’en ont plus, la peau nue perd peu à peu sa couleur naturelle pour
en prendre une qui tire sur le noir. Quel que. soit le sentiment des traducteurs,
cet endroit de la description d’Hérodote convient toujours, soit qu’on l’applique
aux plumes noires de la tête et du cou, ou seulement à la peau, lorsque les plumes
sont tombées.
L ’extrémité des ailes est noire, ainsi que le dit le même auteur. Les grandes
pennes sont terminées par un noir cendré, luisant, dans lequel le blanc forme
des échancrures obliques; les secondaires, par un beau noir chargé de reflets verts
et violets, et qui s’étend de plus en plus. Les trois ou quatre pennes internes sont
même entièrement de ce noir à riches reflets, et les barbes en deviennent avec
l’âge si excessivement longues et effilées, qu’elles couvrent tout le croupion, et que,
retombant par-dessus le bout des ailes, elles cachent encore une partie de la queue:
mais les véritables pennes de la queue sont blanches comme le reste du plumage;
elles le sont dans les ibis embaumés ; ce qui prouve que M. Larcher a mal traduit
en français l’expression grecque, dont fe sens me paroît beaucoup mieux rendu par
le mot latin nates. Le noir du croupion fait avec le blanc une forte échancrure,
laquelle, comme le dit Plutarque, retraçoit aux Egyptiens l’image de la lune dans
son croissant (2).
3.0 Quant aux cuisses ( aux jambes ) et au bec , ils les ont de même que l ’autre ibis ;
c’est-à-dire qu’ils ont les jambes semblables à celles de la grue, et le bec recourbé, ou,
plus exactement, en grande partie courbé.
Les jambes ou plutôt les pieds du numenius ibis ne diffèrent pas de ceux des
espèces du même genre ( on sait assez que les avoir semblables a ceux de la grue
est un attribut commun à tous les oiseaux de rivage ) ; ils ne sont même distingués
des pieds du courlis commun, Scolopax arquata, que par plus d’épaisseur, et par
des doigts et des ongles plus alongés. Ils sont noirs, ainsi que le bec. Ils paroissent
précisément de sa longueur, si, en y joignant la partie nue de la jambe, on ne les
mesure que jusqu’à l’origine des doigts. On lit en effet dans Plutarque que l’espace
compris entre les deux jambes de l’ibis et son bec forme un triangle à trois côtés
égaux (3).
Ce b e c , quoiqu’assez épais, est d’une substance peu compacte , long, comprimé
par les côtés, un peu convexe en dessus, d’abord presque droit, courbé
très-sensiblement dans son dernier tiers, et terminé non en pointe, mais par un
bout obtus. On n’y voit point d’échancrures, et les bords n’en sont que mousses
( 1 ) Histoire d*Hérodote, tom. I I , no te 2 5 4 / p a g . 308. (3 ) P lu ta r c h . de Iside et 0/iride , e t Symposiac.
(2 ) P lu ta r c h . de Iside et Osiride. lib . i y .
et
et arrondis. La mandibule supérieure est sillonnée de deux cannelures ( i ) depuis
son extrémité jusqu’à sa base, où l’on aperçoit les narines, qui sont linéaires et
placées dans ces mêmes cannelures. Enfin ce bec est en tout essentiellement conformé
comme celui des autres numenius.
J en puis dire autant de la langue, que l’on aperçoit à peine au fond du gosier.
Celle-ci est lisse, épaisse, cartilagineuse, ovale-obtuse, sagittée et frangée à sa
base; la couleur en est noirâtre.
Les yeux, séparés du bec par un espace qui est toujours nu, ont leur iris d’un
brun un peu couleur de noisette.
Je sens que je suis entre dans des détails qui peuvent paroître superflus; on en
reconnoîtra la nécessité à mesure que nous avancerons : mais il nous reste encore
ici quelques considérations à exposer.
Il y a deux caractères spécifiques qui semblent d’abord appartenir exclusivement
à l’ibis, et le distinguer essentiellement dans son genre naturel, je veux dire, le
défaut de plumes sur la tête et le cou, et le prolongement des barbes de quelques-
unes des pennes secondaires. Cependant on les retrouve dans des espèces voisines,
mais étrangères a 1 Egypte, savoir: dans une espèce envoyée du Bengale au Muséum
de Paris par le naturaliste Macé, et dans une autre du Cap de Bonne-Espérance,
que j ai jugée différente de la première sur les dessins de M. Levaillant, sans
compter celle que M. Cuvier a confondue avec la nôtre, et que l’on présume venir
du Sénégal. Il seroit trop long d’énumérer ici toutes les différences de couleur qui
séparent ces trois numenius du vrai ibis. Il me suffira d’en remarquer quelques-unes
relativement a 1 espèce de M. Cuvier. i.° Le plumage est d’un blanc sale. 2.0 Les
grandes pennes de 1 aile sont terminées par du noir à reflets verts ; mais les plumes
effilees mont paru uniquement dun beau violet. 3.0 Le dessous des ailes, leurs
grandes couvertures antérieures, ainsi que les cuisses, présentent une teinte rousse
assez vive. 4 -° Les pieds sont plutôt grisâtres que noirs.
Pour distinguer cette espèce, les ornidiologistes pourroient employer le nom
suivant. Numenius Cuvien, capite et collo nudis, corpore albido, tectncibus anterioribus
alarum femonbusque rufis, remigibus secundariis elongatis, violaceis. Celui de l’ibis blanc
seroit. Numenius ibis, capite colloque nudis, corpore candido, remigibus secundariis elongatis
, ex nigro-viridi micantibus.
Il existe d’ailleurs au Sénégal un autre numenius qui s’éloigne de tous les précé-
dens par des caractères tranches. Par exemple, la tete et le cou ne perdent jamais
leurs plumes ; la peau nue des joues et du haut de la gorge est d’un rouge vif, &c.
Cependant cette espèce, dont je dois la connoissance à M. Levaillant, n’en a pas
moins, tout aussi bien que 1 ibis, des pennes secondaires à barbes prolongées et
effilées. Ce dernier attribut n’est donc point exclusif, comme le pense M. Cuvier ;
il ne prouve donc point l’identité de son numenius avec l’ancien ibis blanc. '
Les Egyptiens, dans leurs figures, ont-ils indiqué ce même attribut, ou tout
( 1 ) N o n -seu lemen t ces cann elu re s e x is te n t , q u o i q u ’en d ise B u f fo n , mais e lle s son t très -pro fonde s e t b e au cou p
plus q u e dans notre cou rlis .
H. N. T O M E I.cr, 4*° partie. §..s