
fertiliser, sans le concours d’un grand fleuve, une terre dune etendue aussi considérable
et dans une pareille position : tout ce qu a pu faire depuis leur industrie ,
dès que le Nil eut suivi une autre rou te, a été d,e s’opposer, avec un succès qui
alla toujours en décroissant, au dépérissement d’une région autrefois si florissante.
La vallée actuelle du Nil aura donc long-temps formé un long sinus entièrement
ou en partie baigné par les eaux de la Méditerranée, et son sol ne sera
devenu habitable qu’après avoir été successivement exhaussé par le limon que le
fleuve prend à sa source et transporte, chaque année, vers son embouchure.
On doit de là tirer la conséquence que l’Égypte n’a point été habitée aux
mêmes époques que le reste de la terre, ou du moins quelle ne la pas ete de la
même manière qu’elle l’est présentement : un coup-d’oeil général sur les animaux
qui s’y trouvent, va nous montrer ce qu’il y a de vrai dans cette proposition.
T e l est le point de vue d’où j’ai désiré d’abord de considérer la zoologie de
l’Égypte, persuadé qu’après l’avoir ainsi embrassee dune maniere genérale , et en
avoir déjà déduit quelques conséquences utiles , on s intéressera davantage aux
détails dans lesquels notre sujet va nous entraîner.
On sait (et c’est maintenant un des faits les mieux établis) que chaque région
du globe, séparée par les mers ou circonscrite par de hautes montagnes, a ses animaux
particuliers. Si ce n’est pas toujours sans quelques exceptions, ces exceptions
ne détruisent pas, mais confirment, au contraire, cette loi zoologique, dont nous
sommes redevables au génie de Buffon : elles n’atteignent que ceux d’entre les animaux
qui jouissent des moyens de franchir de grands intervalles. Enfin cette loi
reçoit tous les jours de nouvelles applications tjelle n’embrasse pas uniquement les
êtres qui se traînent à la surface de la terre, ou ceux qui habitent les hautes régions
de l’air; les animaux Neptunicns y sont également soumis. Car si les géographes
ont trouvé à partager les mers en plusieurs bassins circonscrits par des montagnes
sous-marines, les zoologistes en peuvent faire autant, d’après les observations de
M. Péron, qui a vu les animaux des mers changer à fur et mesure que son vaisseau
l’entraînoit en d’autres régions.
S i, frappé de ces aperçus, on jette un coup-d’oeil attentif sur les animaux de
l’Égypte, on se persuade bientôt qu’il n’en est aucun de propre à ce pays, et qu ds
lui ont sans doute été fournis par les contrées environnantes.
Nous occupons-nous d’abord des animaux du N il, nous les voyons partages en
deux tribus sous le rapport de leur habitation : les uns sont répandus dans tout le
cours du fleuve, tandis qu’il en est d’autres qui s’éloignent peu de son embouchure.
A proprement parler, il n’y a que les premiers qu’on puisse considérer comme
appartenant au Nil : nul doute alors qu’ils n’en aient suivi les révolutions et quils
ne soient entrés avec lui dans la vallée où il épanche présentement ses eaux. Tels
sont un grand nombre de silures, le trembleur, le raschal , le r a ï , la tortue
mòlle, le crocodile, le tupinambis, &c. Rien de plus vraisemblable, en effet, si ces
animaux non-seulement ne vivent pas uniquement en Égypte, mais s’ds se trouvent
ailleurs que dans le Nil : or, c’est un fait dont nous avons présentement une con-
noissance positive ; les manuscrits et les collections d Adanson nous apprennent
qu’ils existent aussi au Sénégal. Ils peuplent donc le Niger comme le N il, résultat
qui s’accorde parfaitement avec l’opinion où l’on est que ces deux grands fleuves
mêlent leurs eaux à l’époque de leur plus haute élévation.
Les poissons de l’embouchure du fleuve, comme diverses espèces de clupée ,
de mugil, de perche, de labre, &c . , sont des espèces qui, ne pouvant vivre en
pleine mer, cherchent une certaine profondeur et sur-tout un fond avec des qualités
déterminées : ce sont donc originairement des animaux marins, que leurs
besoins précipitent aux embouchures des fleuves, et que l’habitude de séjourner
dans des eaux saumâtres rend propres à ces longues excursions qu’ils font dans
les fleuves à l’époque où ils s’occupent de leur reproduction.
Les oiseaux sont dans le même cas que les poissons ; la plupart viennent encore
présentement d’ailleurs. Telle est cette quantité prodigieuse d’oiseaux erratiques, de
passereaux, d’échassiers et de palmipèdes, que la fertilité du sol, les marécages et
les lacs immenses de l’Égypte y attirent. On ne sauroit aussi méconnoître l’origine
des oiseaux qui y passent toute l’année : les uns sont identiquement les mêmes que
nos espèces Européennes, et les autres ont un certain air de famille et une telle
vivacité dans leurs teintes, qu’ils se font aisément reconnoître pour des oiseaux
de l’intérieur de l’Afrique. La plupart nous ont déjà été envoyés de quelques
points de son immense pourtour ; et nous en avons même remarqué dans le
nombre, comme l'alcedo rudis, qu’on reçoit plus habituellement du cap de Bonne-
Espérance.
En général, les productions naturelles de l’Égypte ont tant de ressemblance
avec celles des terres de la côte de Barbarie, qu’on est entraîné à attribuer à
celles-là l’origine de celles-ci. Les mammifères sont semblables dans ces deux
contrées, chauve-souris, chacal, hyène, ichneumon , gazelle, bubale, &c. Que
d’oiseaux s’y trouvent de même ! Combien d’insectes, comme on peut s’en assurer
par la comparaison des collections d’Égypte avec celle que M. Desfontaines
a faite dans les environs de Tunis et d’Alger!
Un autre fait qui résulte aussi de mes observations, et que j’aurai par la suite
occasion de développer davantage, est l’identité des espèces littorales de Soueys et
de celles de la Méditerranée : s’ensuivroit-il que ces deux mers auroient autrefois
communiqué l’une avec l’autre !
C ’est ainsi que la zoologie peut être employée à répandre quelques lumières
sur certains faits de l’histoire physique des diverses portions du globe : en nous
montrant que l’Ëgypte, telle qu’elle est présentement constituée, a reçu et reçoit
encore ses animaux des contrées qui lui sont adjacentes, elle nous fournit de nouveaux
motifs de croire aux changemens survenus dans l’état physique de cette contrée
mémorable ; changemens qui, comme nous l’avons déjà dit plus haut, sont
indiqués non-seulement par l’exhaussement continuel du sol , l’encaissement du
N i l, la construction de son bassin, les déchirures de ses montagnes, mais qui sont
en outre attestés par les traces d’un ancien lit qu’on suit dans le prolongement des
Oasis, et sur-tout par des traditions puisées à des sources dont on ne sauroit
méconnoître l’authenticité.