puisquen nous bornant aux quatre espèces du Nil où elle existe, on voit quelle
réunit des êtres qui diffèrent les uns des autres, non-seulement par les proportions
de leurs parties respectives (ce qui ne peut avoir lieu que ce ne soit le produit de
beaucoup de différences partielles), mais encore, et d’une manière plus notable ,
par la forme et la nature des dents.
La prééminence appartenoit sans doute à ce dernier caractère : les dents jouent
un si grand rôle dans l’économie animale, et sont dans une corrélation si nécessaire
avec les organes de la digestion, e t, dans beaucoup de circonstances, avec
■ceux du mouvement, qu’on auroit dû espérer de leur emploi le meme avantage
dans la classification des poissons que dans celle des mammifères ; leur moindre
modification influe sur les habitudes des animaux, et tres-souvent aussi elles sont
un indicateur excellent de l’état des viscères.
Quoi qu’il en soit de ces observations , nous n’avons pas cru devoir nous
écarter , à l’égard du raschal et du raï, de la détermination et de la nomenclature
adoptées dans l’excellente Histoire des poissons de M. le comte de Lacepède :
nous n’avons pas encore réuni assez d observations pour combiner une méthode
ichthyologique sur toutes les données de l’organisation.
Mais nous nous devions d’insister sur les considérations précédentes, pour prévenir
le reproche d’anomalie qu’on n’est que trop disposé à faire aux ouvrages de
la nature, quand on ne les trouve pas conformes aux règles établies.
C e n’est pourtant pas sans quelque regret que nous avons conserve les noms
de characimis demex et de characinus Niloticus, comme s’appliquant au raschal et
au raï : on va voir pourquoi et de combien de méprises ils ont été le sujet.
Le plus anciennement connu de ces deux poissons est le raï. Ses dents grosses,
Courtes et ramassées, î’avoient fait prendre pour un spare par Hasselquist : mais
Linnéus, entraîné par la considération de sa nageoire adipeuse, le ramena bientôt,
et dans l’ouvrage même de son disciple, parmi les salmo, en lui donnant le nom de
salmo dentex. Il lui ôta ce nom dans la suite, et en fit le cyprinus dentex, quand,
disposant ses matériaux pour le deuxième volume de la Description du cabinet
du prince Adolfe-Frédéric, il vint à passer en revue les animaux provenant du
voyage en Palestine , et qu’il s’aperçut ou crut voir que ce poisson navoit point de
nageoire adipeuse. Le raï est, en effet, donné pour un cyprinus, dans le prodrome
de ce second volume et dans la douzième édition du Systema naturoe.
Une autre méprise produisit une erreur d un effet plus fâcheux. La description
qu’Hasselquist avoit faite du ra i, est aussi exacte et aussi complété qu on pou-
voit l’attendre d’un aussi habile naturaliste ; il ne se trompa que sur son nom
appcllatifen Égypte , kalb el-bahr ( i ) , qui est celui du raschal, aussi nomme kelb el-
moyé. Il paroît que Forskal ne donna d’attention qua cette citation, e t, certain
d’avoir sous les yeux le véritable kalb el-bahr, il transporta, sans s en douter, le
nom de salmo dentex du raï au raschal.
Gmelin, qui vint ensuite, et qui travailloit avec trop de promptitude pour
prendre le temps de comparer ensemble deux descriptions originales, se borna à
(i) Kalb el-bahr, c’est-à-dire, chien de mer, Kelb el-moych, on chien dean.
adopter toutes les opinions de Forskal ; il crut rétablir le salmo dentex d’Hassel-
quist, quand il lui appliquoit les caractères d’une espèce entièrement nouvelle;
et, comme si ce n’étoit assez de cette première erreur, dans le même temps qu’il
faisoit peçdre au raï le nom de dentex, il lui donnoit celui de Niloticus, qui appartenoit
au néfasch : étrange compensation, qui ne pouvoit être soupçonnée par
aucun naturaliste sédentaire.
Aussi est-il arrivé que les opinions de Gmelin ont prévalu, et qu’introdüites
dans des ouvrages très-recommandablcs, elles ont effectué sans retour la transposition
de ces deux noms.
Le raschal et le raï se ressemblent par un même faciès, qui est assez celui des
cyprins, ainsi que l’a reconnu Linnéus. Le raschal est néanmoins plus alongé que le
raï : sa tête, sans être très-longue, l’est aussi proportionnellement davantage; enfin
sa nageoire anale est plus courte et plus large.
L ’adipeuse est très-petite dans tous les deux, la ligne latérale presque égale, et
les écailles à-peu-près de même grandeur.
Tous deux sont aussi de la même couleur, d’un blanc d’argent, qui prend une
teinte de verdâtre sur le dos : cette ressemblance s’étend jusqu’au lobe inférieur
de la queue, qui est également coloré en écarlate.
On peut distinguer le raschal du raï par une différence dans le nombre des
osselets de la membrane des ouïes et dans celui des rayons de la nageoire anale ,-
ainsi que le tableau ci-joint en offre la preuve:
L e raschal. B. 4 D- 10. o. P . 15. V . 9 . A . 13. C . 1 7 -h 8.
L e rai, B. 3. D . 10. o. P . 15. V . 9 . A . 22. C . 19 -+- 5.
Hasselquist porte à 24, et Linnéus à 26, les rayons de la nageoire anale qu’ils
ont observés sur le raï.
Mais en quoi ces deux poissons cessent d’être comparables, c’est dans la conformation
des dents.
Le raschal en a douze, rangées sur une seule ligné à chaque mâchoire; toutes,
hors les deux petites des coins de la bouche, très-écartées les unes des autres;
alternes par rapport à celles de l’autre mâchoire, s’entre-croisant, et toujours
apparentes; longues enfin, grêles et un peu arquées.
La grandeur de ces dents et l’air menaçant que donnent à la physionomie de
ce poisson leurs tiges toujours visibles et leurs pointes acérées, sont sans doute
ce qui 1 a fait surnommer par les anciens, le vorace o u phager. Ce n’est qu’à lui, en
effet, que s’applique le passage suivant de S. Clément d’Alexandrie : « Le phager,
» si remarquable par sa voracité et sa nageoire ensanglantée, est des premiers à
» descendre de la Nubie avec les grandes eaux du fleuve. »
Les dents du raï sont plus compliquées dans leur forme. Ce qui s’en Voit
d abord, cest qu’elles sont courtes, grosses et contiguës. En les examinant ensuite
avec plus d attention, on voit qu’elles sont disposées sur deux rangées à la
mâchoire supérieure, six en devant et huit en arrière ; et sur une seule rangée
et au nombre de huit, à la mâchoire d’en-bas.
h . j v . I n a