» tivement, les uns un chien, les autres un loup, et d’autres un crocodile, pani
» qu’il ne seroii pas possible de les nourrir tous. » Que 1 auteur eût été mieux informe
au sujet de la distinction des deux espèces de crocodiles, et la clarté de ce passage
auroit rendu mutiles mes recherches sur ce point.
C’étoit toute l’esp.èce qu’on nommoit suchus, tant les individus qui vivoient
en pleine campagne que ceux qui étoient spécialement nourris dans les temples. Il
n’étoit point possible de les tous contenir, de les tous nourrir dans le temple;
mais d’ailleurs toute l’espèce étoit honorée., consacrée , parce que tout entière
elle s’étoit montrée dévouée aux intérêts du pays. En e ffe t, tous- les petits crocodiles
étoient et sont encore présentement, chaque année, versés abondamment
sur les terres par les eaux du débordement : étant obligés de<se reposer de temps
en temps à terre , et par conséquent de chercher un nouveau rivage par-delà les
champs inondés, ils précèdent les eaux au fur et à mesure qu’elles se répandent«
s’étendent sur les terres. Ils semblent s’en faire suivre, et aussi en dépendre.
C etoit cette manière de les amener qu’on avoit voulu rappeler, et qui fut en effet
admirablement bien exprimée par l’emblème que raconte Eusèbe, celui de plusieurs
crocodiles attelés à des barques et les traînant à la remorque dans les canaux
de dérivation.
J’ai fait à Sàlehyeh, village touchant au désert de Syrie et qui est à une très-
grande distance du fleuve, un assez long séjour, au moment où cette frontière
participoit aux bienfaits de l’inondation. J’ai vu , là, pratiquer ce que ¡je suppose
avoir eu lieu autrefois à l’égard des jeunes suchus. Les cultivateurs y attendoient
l'arrivée des premières eaux avec une impatience où se marquoit de l’inquiétude;
ils faisoient cas de quelques signes conservés de l’année précédente ou ménagés
pour cette occasion ; car, pour multiplier les indices^;; ils creusoient des fosses
d’examen de distance en distance : c’étoit une affaire que d’y voir arriver l’eau,
mais sur-tout que d’y étudier par quelles espèces de poissons ces fosses étoient
remplies. Les enfans étoient par imitation non moins ardens et non moins passionnés;
car plusieurs de ces poissons alloient devenir leurs- jouets et servir à leurs
amusemens d’une saison. On les voyoit, après la venue des eaux, les mains pleines
de petits tétrodons [ fahaka ],, s’occuper à les gonfler pour le plaisir de les briser
avec fracas. Chaque villageois étoit en observation, parce que chacun deshoit se
rendre compte à lui-même de ce qu’il avoit à espérer ou à craindre.
Je résume cette discussion ; je ne serois arrivé qu’à titre de corollaire, et
même qu’hypothétiquement, à l’idée qu’une espèce de crocodilé avoit été distinguée
par les anciens Égyptiens, et qu’elle ( l’espèce tout entière ) étoit devenue
un objet de vénération et d’hommages, que ceci devroit à ce moment, je pense,
être considéré comme un fait avéré. Il faut bien que ce soit enfin la conséquence
évidente, une vérité démontrée, puisque cette déduction, ainsi établie, satisiair
complètement à l’explication de tous les anciens textes sur les crocodiles, puisqu’elle
leur donne un sens plein et déterminé, qu’elle en fait disparoître Apparente
contradiction , et qu’enfin elle complète un point très - important de
l’histoire.
Par conséquent, plus de difficultés maintenant pour rétablir et pour lire les
anciens auteurs dans le sens et 1 esprit de leurs compositions.
Ainsi Strabon aura vu que les Arsinoïtes prenoient dans l’espèce consacrée au
dieu Temps un individu qu’ils élevoient, nourrissoient et honoroient, comme le
représentant du seul et propre crocodile digne de leurs hommages, et parce qu’il
devenoit impossible d étendre à toute l’espèce ces mêmes soins d’éducation et de
nourriture.
Jablonski, Larcher et Visconti auront entendu dans son vrai sens, et consé-
quemment bien commenté et parfaitement traduit, le passage de Damascius sur le
crocodile sacré, autre espèce d’un caractère doux et inoffensif
Bien, Horapollon et le savant évêque de Césarée auront, dans leurs explications
des hiéroglyphes, employé avec le discernement d’un naturaliste instruit
certaines habitudes que de leur temps on avoit remarquées et attribuées au crocodile
sacré. Effectivement, deux motifs devoient le recommander à la reconnois-
sance des populations des plaines excentriques ; il ne nuisoit à personne, et au
contraire il rendoit service. Voyageur, en se portant en toute hâte sur la lisière du
désert, il étoit porteur de bonnes nouvelles : il y venoit annoncer la prochaine
arrivée des eaux de l’inondation.
Sa petitesse fut le principe et devint l’ordonnée d’un autre système d’habitudes :
il est inoffensif en effet, comme petit et foible, par impuissance; et c’est aussi sa
petitesse et le peu de résistance qu’il pouvoit opposer qui lui valurent de se
montrer périodiquement sur la lisière du désert ; emporté, il suivoit le mouvement
des eaux, que l’excès de leur plénitude faisoit sortir et entraînoit violemment
hors de leur lit.
Mais tout ceci devoit nécessairement reposer sur le fait, et nous croyons ce fait
présentement et parfaitement établi, que , s’il y a au moins deux crocodiles dans le
Nil, l’un est plus grand et l’autre plus petit ; or A ’bd-el-Iatyf, John Antes, et mes
propres observations, mettent ce point hors de doute. M. Thédenat-Duvent, fils
du dernier prédécesseur de M. Drovetti, comme consul général en Égypte, nous
a enfin fourni des-¡moyens d’une preuve définitive et complète, en apportant
d Alexandrie et en donnant au Muséum d’histoire naturelle un individu semblable
à tous égards au sujet qu’Adanson avoit vu et pris dans les eaux du Niger.
D E U X I È M E E S P È C E .
D u Crocodile vulgaire.
C é t o i t , comme on vient de le voir, bien rarement et pour satisfaire à une position
déterminée, qu’on avoit fait attention au crocodile sacré; mais généralement
on ne croyoit anciennement qu’à une seule espèce, grande, indomptable et principalement
célèbre comme appartenant au Nil. Celle-ci fut l’animal que, pour ce
motif, M. le baron Cuvier et moi nous appelâmes crocodilus vulgaris. Nous ne
savions point alors que le même fleuve en renfermoit d’autres susceptibles d’acquérir