dans les golfes et canaux où il se répand; la tourmente ne cesse pour eux que
quand ils sont enfin arrivés aux extrémités de ces culs-de-sac.
A peine commencent-ils à jouir d’un peu de calme, quils se Mtent de se
rechercher et s’occupent de la reproduction de leur espece : ils se montrent alors
plus confians et viennent plus souvent à la surface, ou, en éprouvant la plus singulière
des métamorphoses, ils cessent de régler leurs mouvemens et ne naviguent
plus qu’au gré des vents ou en s’abandonnant au fil de 1 eau.
Leur .condition ne tarde pas à s’améliorer; c’est quand, a la retraite du fleuve,
les campagnes inondées sont converties en des lacs immenses : ils séjournent alors
dans des eaux dormantes. Leur sécurité s’en accroît, et ils témoignent la joie
qu’ils en ressentent, en paroissant plus souvent à fleur d’eau.
Mais, hélas! ce bonheur est de bien courte durée : ils restent abandonnes dans
des îles entourées de sable; sans moyen de regagner le fleuve qui les a rejetes de
son sein, ils voient se tarir les lacs qui les recèlent encore. En vain ils sont attentifs
à cette diminution des eaux, et ils s’empressent de gagner les lieux les plus
bas; ils ne font que retarder de quelques jours une mort inévitable. La terre ou
ils s’amoncèlent les uns sur les autres, n’est plus alimentée par le Nil, et elle est
au contraire exposée aux rayons d’un soleil dont 1 ardeur est dévorante et dont
rien ne tempère l’influence.
11 y a beaucoup plus de ces poissons qu’il n’en faut pour nourrir les hommes
qui vivent dans leur voisinage, et pour assouvir la faim dune quantité considérable
d’oiseaux qui sont attirés par une proie aussi abondante; la plus grande partie
reste alors gisante sur le terrain, et offre bientôt aux regards étonnés des voyageurs
une multitude de débris dont l’origine contraste singulièrement avec 1 aridité
des lieux où ils se trouvent.
Le décroissement du Nil ramène ainsi, chaque année, une epoque ou toute la
population des campagnes se procure, sans aucune fatigue, une nourriture abondante.
Les enfàns en desirent le retour tout aussi vivement que leurs peres, parce
que cette saison leur ramène de nouveaux plaisirs et des jeux qui se fondent principalement
sur la possession des fahakas : il en est de ces poissons comme en
France des hannetons ; chacun en desire, parce qu il n est sorte d amusement
qu’on ne se procure avec eux.
On aime à les observer dans des flaques deau, a voir leurs métamorphosés,
à prédire le moment de leur culbute, à les promener sur les eaiix, à les lancer
comme des billes de billard, et quelquefois aussi a les écraser. On s en amuse
presque autant après leur mort, à cause de la facilité qu on a à les gonfler ou à les
vider à volonté. Desséchés sous la forme d’un sphéroïde, ils conservent tout 1 air
dont ils ont été remplis, et résistent long-temps en cet état,.quoiquon sen serve
comme de ballon.
J’ai été à portée d’observer la manière dont ils se gonflent. S ils nagent, ils le
font à la manière de tous les autres poissons; on distingue alors facilement toutes
les parties de leur corps : la tête paroît seulement un peu forte ; le ventre est
plissé, mais bien fnoins gros; et la queue est plutôt longue que courte.
D E S P O I S S O N S D U N I L . 2 25
Viennent-ils aspirer de l’air à la surface de l’eau, on voit d’abord les plis de
l’abdomen qui s’effacent ; le ventre croît peu-à-peu, et arrive bientôt à un volume
qui égale et surpasse même celui de l’animal. Dès-lors il survient un événement qui
ne dépend plus des mouvemens vitaux : il s’établit une si grande disproportion entre
le poids du dos et celui du ventre, que, le premier venant à l’emporter, l’animal
culbute et demeure renversé sur le dos. Cela n’empêche pas qu’il ne continue
à se gonfler; et il le fait avec un tel succès, que son corps, qui naturellement
est d’une forme alongée, passe à celle d’un globe dont la surface développe
toutes ses épines.
Car c’est en ayant recours à cette sorte de métamorphose, que les tétrodons
parviennent à éviter les poursuites d’un assez grand nombre de poissons : en vain
ceux-ci s’empressent autour d’eux et croient s’en saisir, leurs efforts n’aboutissent
qua pousser devant eux un sphéroïde qui glisse facilement sur le miroir des eaux.
L ’attaquant se lasse d’autant plutôt, qu’il est atteint lui-même par les petits
aiguillons dont toute la surface visible est garnie, et qui, en se redressant, forment
autant de dards très-aigus et très-dangereux.
Nous Connoissions deja ce mode de défense parmi des animaux terrestres. Les’
hérissons, au moindre danger, se mettent également en boule, et présentent de
tous côtés des armes défensives, poignantes, et qui rebutent leurs ennemis. Il
est assez singulier de rencontrer les mêmes habitudes parmi des animaux si dif-
férens.
On est curieux de savoir à quel mécanisme on doit cette similitude d’actions;
et l’on s’est en effet demandé comment il arrive que les tétrodons prennent et
conservent tout l’air qu’ils aspirent, quel en est le réservoir, et quels agens enfin
leur donnent cette faculté. C ’est à l’anatomie à nous donner la solution de ces
questions.
Personne n’a encore révélé l’organisation d’aucune de ces singulières espèces. Ce
que je vais essayer de faire au sujet de celle qui habite dans le Nil, a l’avantage de
s appliquer à toutes, et peut-être même de s’étendre aux espèces du genre diodon.
§. IV .
D u Réservoir aérien, ou de l ’Estomac.
Je ne connois que le célèbre Bloch et M. le comte de Lacepède qui se soient
occupes de la poche des tétrodons : Bloch a fait voir qu’elle communique avec
la cavité des blanchies; et mon illustre confrère en a étudié la structure, et l’a
vue formée par une membrane située entre les intestins et le péritoine.
Cette dernière observation, ayant porté sur un sujet retiré, mal conservé, de
la liqueur, na pu etre faite avec tous les développemens dont elle étoit susceptible.
Ayant eu au contraire à ma disposition autant de tétrodons que j’en pouvois
desirer, je me suis occupé de remplir cette lacune.
J ai donc ouvert un grand nombre de ces poissons, et je me suis toujours de