
C es.t cela que mon savant confrère entreprend d’établir. Les interprétations
favorables à ce système sont préférées; Spanheim est par lui approuvé dans |j
correction qu’il a proposée, et au moyen de laquelle le passage de Strabon s’en-
tendroit 'dans un sens restreint et devroit être traduit en termes particuliers : car
ce passage peut aussi bien se lire de cette autre manière : L ’hippopotame est injuste
le suchus est piste; c’est un nom ou une espèce de crocodile ( ou bien, i l a l e n om et
l a f i g u r e d ’u n c r o c o d i l e ) ; iln e nuit à aucun animal. Cette explication pren-
droit consistance et force, suivant M. Cuvier, « de la considération que Damascius
» vivoit dans un temps où l’on ne nourrissoit plus d’animaux sacrés en Egypte
» A cette époque, sous le règne de Justinien, il ne restoit: de l’ancien culte que
» des traditions, ou même seulement ce que les livres en rapportoient. Damascius
« peut-être ignorant et crédule, aura lu ou bien aura entendu dire que le suc/tus
» ou le crocodile sacré d’Arsinoé ne faisoit point de mal ; et il en aura fait aussitôt
» une espèce particulière et innocente. » ( Ossemens fossiles cités, page 4 8. )
Cependant Jablonski (1) dit avoir trouvé, par l’érudition, qu’un nom différent
étoit donné à chaque espèce de crocodile : il cite l’autorité du P. Kircher,
nodosité ayant à peu près la forme d’un scarabée, can-
tharus. Pline dit seul, et sans doute par erreur, que la
tache du front étoit carrée : une momie d’Apis du Musée
Charles X , où cette tache est triangulaire, confirme en
ce point les autres témoignages historiques. En exigeant
la réunion de tant de conditions organiques, les Egyptiens
rendoient fort chanceuse la découverte de cette variété
accidentelle : ils étoient ainsi exposés à manquer
d’Apis, et I’ histoire nous a conservé qu’ils en furent effectivement
privés durant plusieurs années ; d’abord sous le
règne de Darius qui a succédé au faux Smerdis, et plus
tard sous l’empereur Adrien. Or c’étoit volontairement
se placer sous le coup de très-grandes calamités; car, à
la mort du dieu de Memphis, la population de toute l’Egypte
prenoit le deuil, qu’elle observoit, en s’imposant
les plus austères privations, jusqu’à l’installation d’un
nouvel Apis. Darius prit en pitié les douleurs et l’extrême
misère des Egyptiens ses sujets, et fit promettre cent ta-
lens à qui découvrirait un veau portant robe d’Apis; et
sous Adrien, la capitale, privée de ses relations commerciales
, fatiguée et exaspérée par un deuil prolongé durant
plusieurs années, se mutina et fit soulever tout le pays,
dit Spartien.
Un boeuf ne devenoit donc point Apis uniquement par
le fait de son admission dans le temple ; il étoit précédemment
veau Apis, alors élevé par un collège de prêtres à Ni-
Iopolis, d’où il étoit transporté à Memphis par la voie du
Nil en très-grande pompe ; les femmes avoient le privilège
de défiler nues devant le jeune Apis peu avant son départ :
la ferveur religieuse les poussoit à cette démarche, dit Eu-
sèbe. En dernière analyse, les boeufs sacrés étoient Apis du
droit de leur naissance, comme possédant quelques conditions
organiques bien déterminées. Apis étoit consacré
à la lune et en a voit un signe sur le flanc droit. Son nom
signifioit, dans l’idiome Egyptien, je mesure : on peut sur
cela consulter le Panthéon Egyptien de M. Champollion
jeune.
C’étoient aussi des boeufs d’une conformation distincte
que les animaux sacrés d’Hermonthis etd’Héliopolis: mais
comme on avoit été moins exigeant sur les caractères organiques
à réunir, il n’y avoit pas autant de difficulté à
leur trouver un successeur ; aussi n’est-il nulle part question
que le deuil au décès d’un Onuphis’ et d’un Mnévis
ait jeté les peuples dans le désespoir.
Onuphis étoit un boeuf noir, caractérisé de plus par
une bande blanche sur l’arête dorsale ’ : on en voit au
Musée Charles X deux fort beaux portraits sculptés et
peints, occupant chacun le milieu d’un bas-relief. Pacu
étoit un autre nom de ce boeuf : ce mot signifioit le mâle,
allusion sâns doute à sept vaches placées auprès de lui
comme ses épouses, et qu’on désignoit sous le titre de
vaches divines. II paraît qu’Onuphis ou Pacis étoit un
étalon destiné au perfectionnement des belles races. Le
terme d'Onuphis exprimoitle beau, le parfait.
II en étoit sans doute ainsi du boeuf sacré d’Héliopolis.
Le tâureau Mnévis devoit être le plus bel animal de
1 époque, aussi remarquable par sa haute taille que par sa
force et la beauté de ses formes. Consacré au soleil, et
sans doute pour ce sujet, on le choisissoit d’un rouge vif et
sans tache. Son nom mnê, auquel les Grecs, suivant leur
coutume, avoient ajouté la désinence is pour le rendre
déclinable dans leur langue, exprime qu’il vivoit solitairement
: un étalon est souvent dans ce cas. Le Mnévis a
été vu par M. Champollion jeune, représenté et colorié
sur la caisse sépulcrale d’une momie humaine des collections
de Turin.
Ainsi des conditions organiques parfaitement définies
dans les livres du sacerdoce Egyptien caractérisoient
chaque sorte de boeuf sacré : les choix étoient motives.
L’induction est présentement légitime : de ces boeufs,
dont cette discussion fait connoître les cas distincts, vous
pouvez conclure au crocodile sacré. Or cette conclusion
est précisément celle de la thèse soutenue dans cet écrit,
thèse dont l’Académie des sciences a bien voulu entendre
le développement.
(1) Panthéon Ægypt. lib. v , cap. I l , J. i z , de Typhontqui
auroit aperçu le nom de pi-snchi dans un vocabulaire Qobte. Mais M. Cuvier
a répondu a cette objection , en accusant Kircher d ’avoir introduit ce mot dans la
tangue Qobte et de l'avoir forgé d ’après Strabon ( page 49 ). L ’accusation s’est trouvée
parfaitement fondée : le manuscrit que le P. Kircher étoit censé avoir consulté
s’est retrouvé, et le nom de pi-suchi n’y existoit pas.
Si toutefois Jablonski fut mal inspiré dans la confiance qu’il avoit accordée à
la citation précédente, il le fut mieux dans son pressentiment que l’idiome vulgaire
des Égyptiens avoit deux noms appellatifs pour les espèces de crocodiles.
La lecture des papyrus a fait depuis connoître ce point d’une manière irrécusable.
En 1807, j’avois donc cédé à une toute légitime conviction, quand je me
déclarai pour le sentiment de Jablonski. Mais, si l’on devoit souhaiter toutefois
plus delémens pour la proposition, que deux espèces de crocodiles étoient en
Égypte, l’une d’un naturel farouche et indomptable, dont la religion encoura-
geoit la destruction, et l’autre, d’un caractère plus doux; plus delémens pour
ce fait, que dans l’espèce du suchus étoient choisis les individus destinés au service
des autels, cela qui étoit alors si désirable, ces élémens nécessaires pour faire
partager ma conviction, je les possède présentement ; car non-seulement j’ai sous
les yeux huit crocodiles de la petite espece, huit suchus de divers âges, les uns
ayant ete apportes du Sénégal, et les autres du Nil, mais je puis aussi produire de
nouveaux témoignages, desquels il resuite incontestablement qu’à diverses époques
on avoit connu et distingué la grande et la petite espèce de crocodiles.
Je place ici la description du suchus; je l’avois déjà comparé au crocodile vulgaire
et a celui de Saint-Domingue, sur-tout à ce dernier, dont il m’avoit paru
le plus se rapprocher. Afin de faire porter mes études sur un plus grand nombre
de sujets, j’ai visité plusieurs collections publiques, et de plus, celles particulières
de MM. Brongniart, Kéraudren, Banon, Florent-Prévost, Passalacqua et Bibron.
Cependant les exemplaires dont j ai tiré le parti le plus avantageux, sont, i.° un
individu de tm,28o des galeries du Muséum d’histoire naturelle; il y avoit été
déposé par Adanson , qui l’avoit rapporté du Sénégal et étiqueté de sa main,
crocodile vert du Niger; et 2.0 un autre individu de 1m, 190, lequel provient authentiquement
d’Égypte, comme rapporté et donné à notre cabinet par le fils de
M. Thédenat-Duvent, vice-consul à Alexandrie.
J’insiste sur les dimensions de ces deux sujets : des recherches fort attentives à
cet égard ne m’en ont pas fait connoître de plus grands, si ce n’est cependant l’individu
auquel s’applique le passage suivant ; « Je ne crois pas que le suchus croisse
» au-dela de cinq pieds : j’en juge par un crâne de neuf pouces que j’ai sous les
» yeux et dont les sutures sont presque effacées; ce qui n’a lieu ordinairement que
I dans les crocodiles adultes et même d’un certain âge. » Je rappelle ce passage
écrit en 1807 ( Annales du Muséum d ’histoire naturelle, tome X , page 8 5 ), au dé-
aut de 1 objet lui-même, qui n’est point resté à ma disposition.
Nul autre crocodile que le suchus n’est plus alongé, plus grêle et plus effilé :
a tete est par conséquent fort longue , moins cependant que celle du crocodile
e Saint-Domingue. J’en ai employé les dimensions avec confiance, ayant remar