Cevio, ré.
fulcnce du
Baiilif.
fi« T D E C É V 1 O
par une defcente d’une forte demi-lieue , & extrêmement rapidé
dangereufe même pour le mulet, dont j ’avois renvoyé les porteurs
auxiliaires, mais dans de jolies prairies & fous de magnifiques châtaigniers.
Là, jè paflai la rivîere fur un pont de pierre, aflïs fur des
couches granitoïdes, qui fe relevent alTez rapidement contre IeNord-
d’Oueft. La vallée defcend à l’Eft Nord-Eft, à peu-près parallelement.’aux
plans des couches. Elle eft dominée au Sud-Eft, par une affezhaute
montagne, que je voyois déjà de Cerentino, & dont les couches me
paroilfent s’élever du côté de l’Oueft.
A 15 minutes de là, on repaiTe la{ riviere, toujours profonde &
& ferrée entre des couches fituées comme les précédentes. Bientôt
après'on traverfe un hameau nommé Carinaccia , où l’on voit une belle
cafcade, & des châtaigniers & des noyers dans la plus forte végétation.
Trois quarts de lieue plus loin, on traverfe un torrent qui coupe
à une grande profondeur des couches d’un vrai granit veiné à petits
grains, & qui fe divife en grands blocs; fes couches montent, comme
les autres de 20 à i f degrés vers le Nord-Oueft.
A 10 minutes de ce torrent, on rencontre les premieres vignes & le
village de Bugmfco. Ces vignes font encore des treilles foutenues par
de hauts & minces piliers de granit veiné. On voit au-deflùs du village
les tranches des couches de ce granit ; leur fituation eft toujours la
même, & on les voit encore lous Un pont à i f minutes plus loin.
A demi-lieue de Bugmfco l’on vient à Cevio, en quittant la vallée
étroite que nous avions fuivie depuis Cerentino , & qui vient aboutir
à la grande vallee Maggia ou Madia que nous allons defeendre jufqu’à
Locarno.
§. 178;. C e v io eft le chef-lieu de la vallée & la réfidence du Baiilif.
Je m’arrêtai fous un arbre pour obferver le baromètre ; j’étois curieux
de connoitre l’élévation de cette vallée ; mon oblervatipn me donna
A L G G A R N O , Ghap. X,
320 toifes, hauteur fiiiguliérement petite pour un lieu aufiï rapproché
des hautes Alpes. Cette obfervation confirme bien ce que j’ai dit ailleurs
, que les vallées méridionales des Alpes font en général beaucoup
moins élevées que leurs correfpondantes du côté du Nord.
Le Baiilif, qui de fa fenêtre me voyoit faire mon obfervation , fut
curieux de la voir de près. 11 vint à moi, & me preffa d’entrer chez
lui. Je n’avois pas detems à perdre, mais comme depuis plufieurs jours
je n’avois aucune nouvelle des pays habités, j ’entrai dans l’efpérance
d’en apprendre. Quelle ne fut pas ma furprife, quand le Baiilif me dit
qu’il n’avoit depuis long-tems aucune lettre de l’autre côté des Alpes,
mais que pourtant il répondroit à toutes les queftions qui pourraient
m’intérefier. En même tems il me montra un vieux cachet noir, &
c’étoit là l’oracle qui répondoit à toutes fes queftions. Il tenoit à la
main un fil à l’extrémité duquel étoir attaché le cachet ; & il tenoii
ainfi ce cachet fufpendu au milieu d’un verre à boire ; peu à peu l’ébranlement
de la main imprimoit au fil & au cachet un mouvement
qui lui faifoit frapper des coups contre le verre ; le nombre de ces coups
indiquoit la réponfe à la queftion dont étoit occupée la perfonne qui
tenoit le fil. Il m’aifura avec le férieux de la conviction intime, qu’il favoit
par ce moyen, tout ce qui fe paifoit chez lui, toutes les éleélions du
Confeil de Bâle , & le nombre des fuffrages qu’avoit eu chaque candi-
tat. Il nie queftionna fur le but de mon voyage, & après l’avoir appris,
il me montra fur fon almanach l’âge que donne au. monde la chronologie
vulgaire, & il me demanda ce que j ’en penfois. Je lui dis que
l ’obfervation des montagnes conduifoit à croire de monde un peu plus
ancien. Ah ! me dit-il, d’un air de triomphe, mon cachet me l’avoit
bien dit ; car l’autre jour j’eus la patience de compter fes coups en pen-
iant à l’âge du monde:, & je le trouvai de 4 ans plus vieux qu’il n’effc
marqué fur cet almanach. Cet heureux accord dans le fruit de nos
recherches lui infpira beaucoup d’intérêt pour moi; il eut la bonté de
me donner la moitié d’un de ces pains que nous appelions en ‘Suifie
pain de ménage, dont je n’avois pas vu depuis long-tems, & de me