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D ’a p r è s l’obfervation du barometrç , je trouvai le rez de chauffée
du château élevé de 480 pieds au-deffus de Montelimar.
M. de Muy, feigneur du lieu, étoit abfent, mais fon agent, M. V ig n e ,
qui avoit été prévenu par M. Ç e n t o n , nous reçut avec beaucoup
de politeffe. Il nous donna des lits dans le château, & ma femme
eut le plallir de coucher dans la chambre de Mde. de S é v ig n é .
Nous vîmes là fon portrait. C’eft celui d’une femme blonde, dont
les traits allez réguliers n’annoncent pas la vivacité du fentiment avec
laquelle elle s’eft. peinte elle - même dans fes lettres. Le portrait de
Mde. de G r ig n a n repréfente une belle perfoime; fa phyfionomie eft
douce & agréable, de même que celle dp fon petit - fils, le dernier
des Adfiémars,
Le lendemain, ayant de partir, nous fîmes le tour des terrafFes qui
environnent le château ; la vue eft fort étendue, mais fans agrément
,& fans intérêt. D’abord c’eft l’immenfe plateau que domine le pain
de fucre, dont le phâteau occupe le faîte. Ce plateau eft d’une pierre
calcaire nue, fans eaux, fans prairies, parfemé feulement çà & Jà de
champs d’une terre rougeâtre, dè quelques oliviers & de quelques
phênes verds bien petits , bien clair-femés; puis dans l’éloignement,
des collines tout aufli pelées & fans phyfionomie. En faifant le tour
du château, je remarquai aveç furprife, que les vitres du côté du
Nord étoient prefque toutes brifées, tandis que celles des autres faces
étoient entières. Qn me dit que c’étoit la bife qui les caifoit ; cela me
parut incroyable; j’en parlai à d’autres perfonnps, qui me firent la
même réponfe; & je fus enfin forcé de le croire. La bife fouftle là
avec une telle violence qu’elle enleve le gravier de la terraffe , & le
lancé jufqu’au fécond étage avec affez de force pour caffer les vitres,
On comprend donc que Mde. de S ê v ig n é pouvoit, fans affectation,
plaindre fa fille d’être expofée aux bifes de Grignan.
D E G R I G N A N , Chap. XXXI I . 3 7 7
§ . 1 y68. M a is ce que nous vîmes avec le plus de plaifir, ce font Roche,
les grottes de Roche-Courbiere. On y va en une demi heure de pro- ^e°ur ie
menade depuis le château. L à , au pied d’une petite colline ombragée
par des chênes & des yeufes, on trouve des couches horizontales d’une
roche calcaire, qui dans un efpace affez étendu, forment une faillie
de près de 30 pieds. Ces couches fe foutiennent fans appui comme
les nôtres deMonetiers, §. 234, par la feule force de leur cohéfion.
On a applani le terrein qui eft au-deffous, on y a pratiqué un réfer- .
voir où fe raffemblent les eaux fraîches & limpides qui diftillent dit
rocher : on a taillé dans le roc, des tables & des bancs, fans que
pourtant l’art fe faffe fentir. A quelques pas de-là, d’autres grottes fera-
blables, mais moins grandes, fervent d’entrepôt pour le fervice lorf-
qu’on veut y dîner. Cette retraite, entourée de beaux arbres, préfente
un abri & une fraîcheur délicieufe dans un pays aride ; & comme,
les grottes font un peu élevées, on y jouit d’une vue demi-rafante
qui n’eft point fans agrément.
L e s couches qui forment la voûte fiipérieufe de ces grottes font
de cette pierre calcaire, compofée prefqu’en entier de débris de
coquillages,fur laquelle eft bâti le château, & qui forme, comme je
l’ai dit, la furface du plateau qu’il commande. Mais le plancher & les
parois des grottes font de fable ou d’un gres tendre qui a commence
par s’ébouler, & qui a rendu enfuite faciles toutes les excavations
qu’on a voulu faire.
§. i f «9. En quittant Roche-Courbiere, nous île retournâmes ni ^ Gri.
à Grignan ni à Montelimar; mais comme nous allions a Marfeille , o rallge.
nous fûmes coucher à Orange. Nous paffâmes près du château de
Beaumés, & par le village du Bouchet, d’où nous vînmes en 4 heures
depuis Roche-Courbiere au village de Ste. Cécile où nous fîmes rafraL
chir nos chevaux, & de-là en 3 heures à Orange.
C e t t e route, quoique mauvaife par places, l’eftcependant incom-
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