ces deux courans, peu sensibles d’ailleurs, paraissent se compenser :
l ’un fait sortir à peu près autant d’eau que l ’autre en fait entrer j
ils tiennent ainsi les deux mers sans cesse en équilibre. On ne peut
douter qu’une ouverture, large de sept à huit milles, ne soit suffisante
pour*produire cet effet ; et s’il en était autrement il y aurait
nécessairement une variation dans l ’élévation des eaux de la Méditerranée.
En été, où l’évaporation est beaucoup plus considérable
qu’en h ive r , et où les eaux qu’elle reçoit sont infiniment moindres,
le niveau de cette mer baisserait d’une manière très-apparente , et
s’élèverait d’autant en hiver : c’est ce que personne n’a observé;
c’est ce qu’on ne voit dans aucun p o r t, sur aucune côte. Ainsi il
faut supposer que les eaux de la Méditerranée sont en équilibre avec
celles de l’Océan, et que la seule différence qu’il y a d’elle à la Mer-
Rouge , : c’est que celle-ci a an flux et un reflux bien prononcés ,
tandis qu’ils ne sont presque pas sensibles dans l ’autre.
Mais lors même que cette différence existerait, quel est l’ingénieur
européen qui serait arrêté dans ses trav au x , puisqu’il aurait dans
une ou plusieurs écluses un moyen simple et facile d’y remédier ?
Toute crainte d’ailleurs à ce sujet est superflue : ce canal a existé,
et l’on en suit encore; les traces à travers les sables du désert.
■Sésostris,_ce roi vertueux et magnanime, q u e l’on excuse du désir
extrayagant de la conquête du Monde pour le bien qu’il a fait à ses
sujets, :et pour celui qu’il leur voulait fa ire, Sésostris eut le premier
l’idée de joindre le Nil à la Mer-Rouge par un canal. Nécao fut le
second roi d’E gypte qui tenta cette jonction; mais la mort de cent
mille ouvriers dut effrayer ce monarque : les travau x, déjà bien
avancés, furent suspendus, et repris ensuite par Darius, fils d’Hys-
taspe. Le canal allait être achevé lorsque tout à coup la crainte de
voir la bas$e Égypte inondée par les eaux de la Mer-Rouge, qu’on
crut plus élevées, arrêta les travaux et y fit même renoncer. Pto-
lémée Philadelphe;,.mieux instruit que ses prédécesseurs, parvint
enfin, à l ’achever, et c ’est pendant son règne que le commerce des
Égyptiens prit un accroissement considérable, et atteignit au plus
haut degré de prospérité.
jCe canal partait de la branche pélusiaque, aux environs de
Bubaste
Bubaste (1) , et allait aboutir à Arsinoë, aujourd’hui Suez : il passait
à travers les terres basses marécageuses qui sont au nord de
cette ville. Ce canal, suivant les historiens, avait cent coudées de
largeur, et assez de profondeur pour soutenir les plus grands navires
de ce tems-là. Sa longueur était de près de cinquante lieues, à
cause des sinuosités qu’on avait été obbgé de lui faire décrire.
Avec les moyens que la marine emploie , nous ne doutons pas
qu’on ne pût faire un port dans le lac Menzalé, capable de recevoir
les plus grands navires; qu’on ne pût creuser et tenir praticable la
bouche de Dibéh, autrefois la bouche mindésienne , et qu’ensuite
on ne pût, par le canal.deMoez et de Salahiéh, venirjoindre l’autre
canal qui partirait des environs du Caire. Tout l’espace compris
entre le lac Menzalé et la Mer-Rouge est bas et u n i, de sorte que
le plus grand obstacle viendrait des' sables qu’on ne peut fixer ou
faire disparaître, dans ces contrées, que par la présence des eaux
du Nil et par la culture des terres.
- Quant à la brièveté du transport des marchandises de l’Europe
dans l ’Inde et de l’Inde en Europe, par l’isthme de Suez , elle est
évidente pour celles qui partiraient d’un port de la Méditerranée,
ou qui y seraient destinées; et quoique.cet avantage ne fut pas aussi
grand pour les villes européennes qui sont situées sur l’Océan ou
sur la mer Baltique, nous croyons néanmoins qu’elles trouveraient
encore à économiser le tems si elles ne voulaient se pourvoir au
marché général. On arrive, du détroit de Gibraltar en Égypte,
deux ou trois mois plus tôt qu’au Cap de Bonne-Espérance, et on
n’est point exposé, sur la Méditerranée, à de si grands dangers que
dans les parages méridionaux de l ’Océan. Personne n’ignore que les
Portugais nommèrent d’abord la pointe méridionale d’A fr iqu e , le
Cap des tourmentes.
Au moyen des moussons, on va de Suez dans tous les ports de
l ’Indostan, bien plus promptement qu’on n’y peut aller du Cap de
Bonne-Espérançe, et le retour est pour le moins aussi expéditif. Il
est vrai que des marins peu expérimentés, ou qui s’exagèrent les
(1) A quelques lieues au nord de Belbeis.
Tome I I .