C H A P I T R E V I I I .
D ép art c fA le p . P a ssa g e de l ’Euphrate à B irt. Arrivée à
O rja ; description de la v ille , de son châtèau , de ses
catacombes. Moeurs des habitans. P op ulation commerce,
productions , température.
N o n s restâmes plus de trois mois à Àlep , espérant toujours qu’il
se formerait une caravane pour Bagdad. Lorsque nous eûmes acquis
la certitude qu’il n ’y en aurait pas avant l’é té , nous nous décidâmes
à prendre la route de la Mésopotamie, quoique la plus longue. Le
commissaire des relations commerciales , ainsi que les négocians
français, nous avaient dissuadés, à notre arrivée, de traverser le
désert sans caravane , parce que l’agent d’Angleterre , disposant,
ayec de l ’argent, de quelques hordes d’Arabes qui- sont à l ’est de
la Syrie, pouvait nous faire arrêter et dépouiller, se persuadant
que des Français envoyés par leur Gouvernement, avaient quelque
mission pour l’Inde, contraire aux intérêts de leur commerce. Ils
ajoutèrent que l’agent d’Angleterre à Alep avait lâché à notre égard
des propos qui devaient nous faire tenir sur nos gardes, tt II est
» arrivé à Barut, avait-il d it, des Français envoyés par leur R épu-
» b lique, qui prendront sans doute la route de Damas pour se
» rendre dans l ’Inde; mais je les ai signalés aux Arabes du désert,
» et j’ai écrit en même tems à Bagdad et à Bassora pour les empê-
» cher de passer outre.» On se souvient qu’à la pénultième guerre,
à l ’instigation du consul anglais, un officier français , soupçonné
d’avoir une mission pour l’Inde , fût assassiné par les Arabes, tant
la soif de l’o r , chez un peuple marchand, étouffe tout sentiment
d’humanité.
Nos préparatifs, étant faits , nous nous adressâmes secrètement
à un moucre arménien d’Orfà , qui se chargea , moyennant
36o piastres , de nous conduire dans trente jours à Mossul : nous
devions lui donner en outre, en a rrivant, un présent proportionné
aux soins qu’il aurait dè nous pendant la route.
Les portes de la ville étant fermées la n u it , notre caravane
sortit le 6 ventôse au so ir , et vint attendre l ’heure du départ
dans des grottes, distantes d’un quart de lieue des remparts. Le
commissaire des relations commerciales nous proposa de coucher
dans une maison aux environs de ces grottes, près du petit village
de Babala. Quelques Français se joignirent à lui pour nous faire
compagnie. A une heure après minuit on nous réveilla pour partir.
Nous fûmes assez prompts à monter à cheval ; mais la caravane
était déjà bien loin : nous ne pûmes la joindre qu’au premier gîte.
Nous rencontrâmes seulement, à la pointe du jou r , quelques personnes
qui s’en étaient détachées, et qui marchaient lentement
pour nous attendre.
L a clarté de la lune nous permit de voir la source qui fournit de
l ’eau à la ville : elle est abondai] t ç , et se trouve au dessous du -
chemin, à trois lieues nord-est d’Alep. On a construit en maçonnerie
l’aqueduc, et on l’a soutenu de niveau afin de faire arriver
.cette eau dans, les quartiers les plus élevés. Mais comme elle ne
suffit pas à l’étendue de la ville et au nombre de ses habitans, la
plupart des maisons ont des citernes que l ’on remplit en hiver
avec l ’eau de pluie- . ‘
A cinq lieues d’A le p , nous perdîmes de vue la rivière que nous
avions côtoyée; nous laissâmes derrière nous un.terrain inégal et
calcaire, et arrivâmes par une plaine nue, fertile, mais peu cultivée,
à un petit village nommé Hardaran, situé à côté d’un mon-
ticule factice , qui paraît avoir été entouré autrefois d’un mur
épais, en grosses pierres posées., sans mortier, les unes au dessus
des autres.
Hardaran se trouve à neuf lieues d’Alep. Ses maisons ont une
forme singulière ; elles n’ont que le rez-de-chaussée ; les murs, disposés
en carré, et bâtis en pierres:et terre, n’ont pas cinq pieds
d’élévatioii, et sont surmontés par autant de dômes coniques qu’il
y a de chambres. La construction de ces dômes est plus soignée