Nous avions pris deux bateaux pour qu’ils fussent moins chargés,
et pour ne pas courir le risque dé mouiller nos effets et nos
papiers. Nous fûmes très-satisfaita de la dextérité de ces mariniers
et de la promptitude avec laquelle ils déchargèrent nos chevaux,
placèrent notre bagage sur leurs kelleks, nous firent passer la rivière
et rechargèrent ensuite nos chevaux. Nous leur fîmes donner par
le tchocadar quelques piastres, dont ils furent très-contens. Notre
passage s’effectua dans une heure.
Cette manière de naviguer est si simple, si économique, qu’on
doit être surpris de ne la pas voir employer quelquefois parle s
armées-européennes lorsqu’il est question de traverser promptement
et sans risque des canaux et dès rivières. Personne n’ignore
q u e , dans des entreprises semblables, le succès dépend presque toujours
de la célérité avec laquelle on les exécute : et- si la rivière est
passée par une partie de l’armée avant que l’ennemi ait pu s’y
opposer ; si on peut se dispenser d’aller à la recherche des gués
souvent éloignés et presque toujours défendus; si on peut par ce
moyen enlever des bateaux qui se trouveraient à la rive opposée,
se procurer des vivres dont on mianquerait, emporter des postes
mal gardés ; et si par surcroît d’avantages chaque soldat portait
avec lui de quoi effectuer sa retraite avec la même promptitude
et la même sécurité, on conviendra que ce moyen peut mériter
quelquefois l ’attention d’un homme de guerre.
T ou t porte à croire que ce procédé est employé depuis un tems
immémorial sur les divers fleuves de l’Orient. Dans l’expédition de
Cyrus et là retraite des dix mille, on vo it les soldats grecs se faire
des radeaux avec des peaux remplies de fo in , et traverser l-’Eu-
phrate pour aller chercher des vivres. Un d’eux propose ensuite
de faire passer le T igre à quatre mille hommes d’infanterie à la fois
sur deux mille outres enflées. Lorsque Alexandre voulut traverser
lis te r pour attaquer les Gètes, on eut recours aux tentes de peau ;
on en forma des outres qu’on remplit de paille. Il employa le même
moyen pour faire passer l ’Hydaspe à un Corps de cavalerie, et il
traversa de cette manière le fleuve Acésinus.
On peut bien présumer que, postérieurement à Xénophon et
Alexandre,
Alexandre, les Grecs et les Romains, dans leurs expéditions en
A s ie , auront eu quelquefois recours à ce moyen, si ce n’est pour
le passage de leurs armées, du moins lorsqu’ils auront eu besoin
de se procurer'promptement tout ce qui pouvait faciliter ce passage.
Mais que les Grecs et les Romains aient passé l’Euphrate , le Tigre
et les autres fleuves de l ’Orient sur des ponts de bateaux ou sur
des radeaux formés d’outres enflées, il n’en est pas moins vrai que
ces radeaux servent maintenant à la navigation ordinaire des deux
premiers. Non-seulement on voiture de cette manière économique,
à de très-grandes distances, les marchandises et les denrées les plus
précieuses, mais des hommes seuls ou en compagnie sont habitués
à entreprendre , chacun sur son outre , des voyages d’assez long
cours. Lorsque nous avons remonté l’Euphrate à notre retour de
la Perse, nous avons souvent vu des familles entières qui suivaient
le courant dç l’eau au moyen de leurs outres. Les pères et les mères
portaient sur leurs épaules les enfans les plus jeunes; ceux qui
avaient atteint leur septième ou huitième année nageaient fort bien
avec une outre de chevreau. Les provisions étaient placées dans une
ou plusieurs outres qui suivaient. Le soir ces voyagëurs gagnaient
la terre, dormaient tranquillement sur le rivage, et se.remettaient
en route le lendemain.
Nous ne nous arrêtâmes point au village qui se trouvait sur la
rive gauche : il nous parut peu étendu ; il est nommé K e lle k sur
une carte manuscrite de Beauchamp, et n’est habité que par des
Jésides. Niébuhr place sur la rive droite du Zarb un village nommé
A b d el-A sis nous avons probablement passé à quelques milles au
dessous. On nous dit qu’il y avait sur les deux rives plusieurs autres
villages de Jésides, qui avaient leurs agas, et qui dépendaient, sui-
•yant leur position, les uns du pacha de Mossul, les autres de celui
de Bagdad. Ces Jésides ont lès mêmes moeurs et la même religion
que ceux du Senjaar ; mais ils sont plus soumis : leurs chefs paient
¿plus régulièrement l’impôt. Ils sont tous domiciliés dans des villa-
,ges ; ils se livrent à la culture des terres; ils,Ont aussi beaucoup dè
bestiaux, et plusieurs d’entre eux n’ont pas d’autre occupation que
Tome II . A a a