Romains ne se sont jamais plaints du climat de l’Égypte : ces derniers
y envoyaient même leurs phthisiques, et non-seulement aujourd’hui
les Gophtes et les Arabes y jouissent d’une bonne santé,
mais même l’Européen et le Mameluk n’éprouvent, dans ce climat,
que les maux ordinaires de l’humanité : ils prolongent leurs jours
comme dans les contrées les plus favorisées de la Terre.
Frappé de ces réflexions, je n’ai rien négligé, pendant mon
séjour en Égypte, pour découvrir la cause de la salubrité d’un climat
qui présente tant de foyers de maladies. J ’exposerai en peu de
mots le résultat de mes observations.
Les marais de l’Égypte ne ressemblent point à ceux des autres
pays : l ’eau y est renouvelée par les inondations du N i l , dans la
saison de l ’année où ils pourraient devenir dangereux. Les gaz délétères
Sont d’ailleurs corrigés par l’air sec et brûlant des déserts
qui entourent ce pa ys, absorbés et neutralisés peut-être par une
substance saline, nitreuse et muriatique, répandue dans l ’atmosphère
, dont nous parlerons bientôt. Le vent du n ord , qui souffle
constamment pendant l ’é té , ainsi que nous l’avons d it , contribue
beaucoup aussi à la.salubrité de l ’a ir , en tempérant la chaleur, en
la rendant plus é g a le , en répandant une humidité bienfaisante, en
poussant tous' les miasmes putrides vers la haute Égypte et les
déserts. Cela est si vra i, que l’été passe pouf la saison la plus saine
lorsqu’on ne se livre pas à l’intempérance, lorsqu’on entretient son
corps dans une transpiration abondante ou une légère sueur , lorsqu’on
préfère une nourriture végétale à la viande et au poisson,
et qu’on fait un usage modéré des fruits succulens du pays.
Les fièvres intermittentes et les rémittentes bilieuses, si communes
dans les pays marécageux vers la fin de l’été et au commencement
de l’automne, sont assez rares en É gypte, même au voisinage
des rizières, .parce que les eaux ne croupissent alors en aucun
endroit. La fièvre ardente , un peu plus fréquente dans la haute
que dans la basse Égypte , n’attaque que les personnes qui se livrent
à des travaux trop pénibles , qui font des marches forcées, qui
s’exposent trop long-tems à toute l’ardeur du soleil. La dyssen-
tefie prend rarement un caractère dangereux, parce qu’elle est le
plus souvent occasionnée par l’usage de divers fruits avant leur
maturité.
L ’automne est moins sain que l’é té , soit parce que le tems est
plus variable, soit parce que le corps de l’homme, épuisé par les
chaleurs de messidor, thermidor et fructidor, est plus susceptible
alors de recevoir les moindres impressions défavorables de l’air. Il
règne souvent, dans cette saison, une espèce de fièvre assez dangereuse,
qu’on pourrait assimiler en quelque sorte à nos fièvres
malignes des prisons ; mais elle attaque plus ordinairement les
hommes faibles , mal- sains , intempérans , Ceux qui sont épuisés
par les débauches ou une maladie précédente. Le traitement employé
par les médecins du pa y s, tiré seulement des délayans et des
rafraîchissans , est insuffisant et même nuisible. Les remèdes qui
conviennent le mieux dans cette maladie , sont ceux qui soutiennent
les forces vitales, et corrigent la masse des humeurs, qui tend
à la putridité.
L ’hiver est très-sain. On ne voit que rarement, dans ce pays
tempéré, les rhumes, les fluxions, les catarres qui nous affligent
si cruellement dans nos climats froids. Les maladies de cette saison
ne sont ordinairement que celles qui font suite aux maladies d’automne
,- telles que les dyssenteries, les hydropisies, les abcès. Mais
si l ’hiver est sain, le printems ne l ’est pas toujours : les maladies
y sont d’autant plus communes et meurtrières, que le khramsi
souffle plus fréquemment. Alors les apoplexies et quelques fièvres
aiguës enlèvent assez souvent les personnes les plus robustes et les
mieux constituées ; alors se montrent les maladies de la peau et
celles qui dépendent de la trop grande irritation des nerfs ou de
la trop forte roideur des fibres. Nous ne parlerons pas de la peste,
qui cesse toujours en été , et ne reprend guère qu’en hiver pour continuer
ses ravages tout le printems. Nous avons dit ailleurs que nous
regardions cette maladie comme aussi étrangère à l’Égypte qu’elle
l ’est à la Syrie, aux environs du Bosphore, à la Grèce et aux îles de
l’Archipel ; et s’il fallait recourir à l’Histoire, nous y verrions que la
peste n’afflige constamment les contrées orientales que depuis que le
mahométisme, qui interdit tout soin prévoyant, est venu s’y établir.