S’il eût été permis d’espérer que la Porte se déterminât à agir
ostensiblement avec ses seuls moyens, nul doute que cette tentar
tive n’eût été encore suivie des plus heureux succès. L ’expédition
d ’Hassan-Pacha en Egypte avait déjà suffisamment prouvé corn»
bien son gouvernement y était préféré à celui des beys ; et les facilités
que ce général trouva dans le pays, malgré l ’état de dénûment
dans lequel il y avait abordé, démontraient assez que toutes les
classes des habitans auraient contribué , de tout leur pouvoir > à
la destruction de la race mameluke.
Mais cette même expédition du capitan-pacha ne prouvait-elle
pas aussi que la Porte n’avait pas sérieusement pensé à rétablir solidement
son pouvoir en Egypte en y détruisant celui des beys,-
puisqu’elle avait donné si peu de moyens à son général, et qu’e'je
l’avait rappelé à l’instant o ù , après avoir chassé de la ville du Caire
les beys régnans, il se trouvait en état d ’exécuter tous ses projets ? ,
Soit que la P o r te , dans la position où elle se trouvait, se crût
obligée de dissimuler ses griefs ; soit qu’elle ne fût pas en_état de
fournir aux frais d’une expédition dans un moment où tant d’autres
occasions de dépense se présentaient ; soit q u e , peu rassurée
sur la domination des pachas, elle comptât plus sur les rivalités
des beys pour lui conserver une apparence de souveraineté, e t lui
procu re r, dans le besoin, des subsistances , qu’elle ne craignait
l ’intelligence qui pouvait s’établir entre eux contre ses intérêts, il
devait paraître certain que le divan de Constantinople ne se serait
pas déterminé, sans une grande répugnance, à agir sérieusement
contre les beys régnans. En supposant que des intérêts plus grands
ou plus pressans eussent surmonté sa résistance , l ’exemple du
passé, le pouvoir de ses idées religieuses., l ’instabilité de ses ministres
et l’insatiable cupidité de ses agens ne nous auraient pas permis
d’espérer, avec quelque vraisemblance, une heureuse issue de ses
tentatives.
Si donc le grand-seigneur , comme il n’y avait pas de doute,
était parvenu à se rendre maître de l’E gypte , il est plus que probable
que cette opération, restée encore incomplète, aurait avorté
jnême au milieu des succès ; que ses agens auraient pactisé ou
transigé avec les b eys; et q u e , satisfait de les avoir humiliés et
d ’avoir remplacé par ses créatures ceux qui auraient été dépouillés
du pouvoir, il se serait borné à une simple démonstration
de ses fo r c e s , qui n’aurait en rien influé sur la tyrannie
existante, et n’aurait pas beaucoup ajouté à la sécurité des né-
gocians.
En supposant que la Porte, mue par son propre intérêt autant
que par les conseils de la France, parvînt à poursuivre avec obstination
la conquête de l’Egypte, ert qu’après l ’avoir effectuée, elle
adoptât les plans qui lui auraient été suggérés pour s’y fortifier,
s’y maintenir et en être véritablement souveraine , -quelle devait
être dès-lors la position des Français , relativement à cette puissance
'et aux nations commerçantes de d’Europe?
Voyons donc un instant l’E gypte obtenir un gouvernement m odéré
et stable, son commerce éprouver bientôt une augmentation
disproportionnée avec ce qu’il était , sa fécondité reprendre son
activité naturelle , le numéraire enfoui sortir de la terre pour la
fertiliser, pour abreuver tous les canaux de l ’industrie. L ’Égyptien
laborieux ne craint plus le travail comme la source de l ’oppression
qu’il éprouve ; les champs abandonnés sont remis en valeur ; les
propriétés respectées fleurissent de toutes parts ; le luxe augmente
les consommations^ le 'riche ne craint plus de le paraître, et l ’importation
des marchandises étrangères-se met en rapport avec l ’aisance
du pays et l’exportation de ses denrées ; la famine cesse de
produire ses ravages ; la peste même est ¡écartée ou réléguée ;
l ’Egypte enfin, par le prompt rétablissement de ses ressources intérieures
¡et le rapide accroissement de sa population , étonnç, et son
propre souverain, et toutes des nations de l’Europe-, qui ne l’ont
connue que dans son avilissement.
Sans doute elle serait toujours loin d’être portée au plus haùt
degré de prospérité.; c a r , sous le gouvernement turc, quelque bien
dirigé qu’onde suppose, son commerce avec l ’Inde n’obtiendrait
que de faibles accroissemens ; les riches cultures dont elle est -Susceptible,
n’y-seraient pas beaucoup plus étendues ;des-canaux d’ar-
rosement-et de navigation n’y seraient pas mieux entretenus, et ses