fait regarder , dans tout l’O rient, comme sacrée la demeure de
l ’homme. D ’ailleurs, toute introduction furtive dans m e maison
peut etre punie de mort à l’instant même, par le propriétaire ou
le locataire, à moins qu’il ne préfère de recourir à la justice, qui
ne manque jamais de le venger.
Le spectacle de cet homme qu’on avait empalé pendant la n u it,'
nous faisait tellement horreur, que nous désirâmes d’en être délivrés
le plus promptement possil ’e ; ce que nous obtînmes moyennant
quelques piastres d’étrenne. Le corps du supplicié et le pal
lurent enlevés un quart d’heure après que l ’argent fut compté, et
promesse nous fut faite qu’à l’avenir pareil supplice se ferait loin
de la maison de l’agent de la République.
Le 10 floréal, les reys du Bogas nous ayant fait dire que le tems
était favorable pour partir, et l ’embouchure du Nil parfaitement
libre, nous fîmes voile de Rosette à huit heures du matin, et arrivâmes,
vers les trois heures du soir, à Alexandrie, où l ’agent de
la République et tous les Français nous attendaient avec impatience
depuis plusieurs jours.
Ils avaient été inquiets sur. notre compte, parce qu’ils ne pouvaient
se persuader que les "chefs du gouvernement consentissent au
départ du commissaire-général et de tous les négocians, et ensuite,
quoiqu’ils eussent appris notre arrivée à Rosette, ils craignaient
encore que l ’irascible Mourad et l ’astucieux Ibrahim ne nous fissent
tous arrêter et ramener au C aire, ainsi qu’ils l ’avaient fait un an
auparavant à l’egard de quelques-uns d’entre eux.
Nous serions partis sur le champ d’A lexandrie si nous avions
trouve un navire turc, grec ou européen, prêt à mettre à la voile
pour Constantinople, Smyrne ou Salonique, tant nous desirions
de connaître en détail les motifs de notre rappel à la capitale de
1 Empire othoman, tant nous étions pressés de quitter un pays dans
lequel nous ne pouvions voyager en sûreté, ni sortir même d’une
vil!« sans avoir une escorte, ou sans être sous la protection de
quelque scheik arabe. En attendant la première occasion qui se
présenterait, nous parcourûmes de nouveau , à grands frais, les
environs d Alexandrie ; nous fumes encore une fois au Marabou, à
Aboukir ; e t, dans toutes nos courses, nous fîmes une assez bonne
récolte de plantes et d’animaux de toute espèce ; car nous étions
dans la saison de l ’année la plus favorable pour tous les objets
d’histoire naturelle, relatifs aux règnes végétal et animal.
Nous partîmes d’A lexandrie le 9 prairial an 3 , sur un bâtiment
vénitien chargé pour Constantinople, de r iz , de dattes , d’étofïès
d’Egypte et de diverses marchandises de l ’Inde. Un petit vent
d’ouest et de sud-ouest nous poussa, en sept jours, vers la côte de
Caramanie, et nous fit reconnaître les environs du port de CasteL
Rosso ; mais le vent ayant tourné au nord-ouest, et nous étant
tout-à-fàit contraire, nous restâmes, pendant neuf jours, en face
de ce port. Le courant, qui se dirigeait visiblement de l’ouèst à
l ’e s t , nous faisait perdre , pendant le calme de la n u it , ce qu’un
petit vent nous avait permis de gagner en louvoyant pendant le
jour. Nous eûmes donc tout le tems d’observer les hautes montagnes
de la Caramanie, qui de loin paraissent blanchâtres et dé-,
nuées d’arbres. Nous nous approchions quelquefois de la côte, au
point de distinguer, parmi les rochers qui la bordent, de grandes
coupures, des vallées, des plaines, où nous voyions fort bien avec
nos lunettes, des pins, des caroubiers, des oliviers, des cistes, des
s ty rax , des myrtes, des platanes, rarement de la vigne et des
figuiers.
Mais nous ne remarquâmes ni habitations, ni troupeaux, ni cultures,
rien qui pût nous égayer ou nous distraire. Des montagnes
brusquement élevées, quelques arbres clair-semés, des tapis de len-
tisque, quelques ruisseaux bordés de lauriers-roses et de platanes :
partout le silence, la solitude; point d’autre bruit que le fracas des
eaux de la mer, qui venaient se briser contre les rochers du rivage
et s’y réduire en écume.
Que la campagne est triste lorsqu’elle-se présente sous un aspect
aussi sauvage, lorsque l ’homme ne la modifie pas par le travail de
ses bras, lorsque nul être vivant ne l ’aniine par sa présence ! Ces
ruisseaux où coulait une eau fraîche et limpide, ces lauriers-roses
fleuris, ces platanes qui s’élevaient sur leurs bords, ce gazon qui
croissait à l’ombre de leurs feuillages, tout nous invitait à quitter