■ Le douanier se disposait à envoyer visiter nos effets; mais, sur
l ’assurance du moucre que nous n’avions point de marchandises,
et après la lecture de notre firman, qui nous qualifiait de médecins
, nous en fûmes quittes pour tâter lé pouls à quelques officiers
de la douane, et leur prescrire quelques remèdes quoiqu’ils se portassent
aussi bien que nous. Mais les Turcs croient bêtement que
cë qui est propre à guérir les maladies, doit les empêcher de venir;
ce qui soulage lorsqu’on souffre, d o it , selon e u x , faire du bien
lorsqu’on est en santé.
Le 1 1 , après dix heures de marche , nous arrivâmes au kan
Kerac-Feris-Bek, situé dans mie plaine. Il y avait auprès de ce
kan un ruisseau qui arrose quelques champs et abreuve quelques
bestiaux. L ’eau est assez rare dans ces contrées. Nous voyions, à
dix ou douze lieues au n o rd , une chaîne de montagnes couvertes
de neige. -
Le 12 nous marchâmes pendant onze heures, et nous arrivâmes
à Orfa. /
Après avoir quitté B ir t , nous fûmes quelques heures sur des collines
calcaires crétacées ; ensuite nous marchâmes presque toujours
en plaine jusqu’à deux ou trois lieues d’O r fa , où nous trouvâmes
d’autres collines calcaires. Nous vîmes, à deux lieues d’Orfa,
un indice d’ancien volcan. Nous descendîmes à la ville par un chemin
très-rude , pavé, souvent taillé dans le rocher. Ce chemin
paraît antérieur à l ’établissement des Turcs dans ces contrées.
- Orfa, connue anciennement sous les noms d'Édesse et de Cal-
lirhoë, occupe une étendue assez considérable, et peut avoir trente
ou quarante mille ames de population. Elle est bâtie sur la pente
de deux collines, et est entourée de remparts très-mal entretenus.
Entre les deux collines est un vallon d’où l’on voit sortir une '
source très-abondante qui fournit dé l ’eau aux habitans, et qui va
arroser ensuite un grand nombre de jardins (î). Un peu au dessous
(O C’est peut-être le Scirtus', rivière que Danvillé, d’après les auteurs anciens,
laitpàsser à Orfa. Quant au Giallab qu’il fait couler à quelques lieues, à l’orient de
cette v i lle , il n’existe pas là où il le place à moins que ce ne soit quelque ruisseau
de
de la source , on a construit un bassin carré , d’une centaine de
pas de longueur, dans lequel on voit une prodigieuse quantité de
poissons. Leur nombre ne s’est accru à ce point que parce qu’on
est persuadé qu’ils sont sacrés, et qu’ils donneraient la mort à quiconque
oserait en manger ou même leur faire le moindre mal. Il
y a , sur les bords de ce bassin, des marchands de gâteaux pour
les dévots et les oisifs qui veulent régaler les poissons, et se procurer
le divertissement de les voir accourir de toutes parts, se presser
, se heu rté r, se renverser pour attraper les morceaux qu’on
leur jette. Il faut admirer, dans le préjugé qui s’est établi à leur
égard, l’adresse de celui qui l ’a fait naître et de ceux qui l’entretiennent
; car ces poissons, prodigieusement nombreux pour une
etendue si bornée, f ournissent dans tous les tems un spectacle fort
agréable, et rendent ce lieu le plus fréquenté de la ville. Le bassin
baigne, d’un côté; les murs d’une mosquée, et est ombragé, de
l ’autre, par de très-beaux platanes.
Les maisons d’Orfa sont assez solidement bâties en pierres de
taille ou moëlorrs; elles sont peu élevées, et terminées en terrasse-.
Les rues on t, dans leur milieu, un canal de deux à trois pieds de
largeur, ou les eaux de pluie et toptes les immondices se réunissent
; ce qui laisse sur les cotes deux sortes de trottoirs assez pro-
ipres , pour la commodité des passans. ,
On voit dans cette ville , comme dans toutes celles de l ’Empire
othoman, beaucoup plus de mosquées qu’on ne'voit d’églises dans
les villes catholiques de 1 Europe. Toutes sont accompagnées d’un
minaret plus ou moins beau, plus ou moins élancé, suivant le
revenu de la mosquée. Les Arméniens ont dans la ville une église
près de laquelle loge l ’évêque de cette communion ; ils ont un autre
hospice hors de la v ille , dans lequel notre moucre avait jugé convenable
de nous établir. Il y a aussi plusieurs bazards voûtés,
assez bien construits, destinés, les uns aux marchands d’étoffës,
et les autres aux orfèvres et autres ouvriers.
d’arrosement auquel je n’aurai pas fait attention, ou un léger torrent presque toujours
sans eau , qui baigne les murs de la ville à l’orient.
Tome I I . T t