d’une ville de médiocre grandeur; mais lorsqu’on y est entré, on
est surpris de voir des maisons éparses , en partie écroulées ; des
rues désertes ou fréquentées par quelques hommes déguenillés ; un
port abandonné , presque comblé de sables : on y cherche en vain
quelques restes de l’opulente T y r . Partout l ’affreux tableau de la
dévastation, de la misère et du désespoir vient déchirer le coeur
de l’étranger, déjà ému par le souvenir d’une gloire et d’une puissance
qui lurent fondées sur l’agriculture, les arts, la navigation
et le commerce.
Aucune ville de l’Empire othoman ne présente peut-être autant
de misère que celle-ci, avec un territoire aussi étendu, aussi fertile,
aussi arrosé ; avec des habitans aussi sobres, aussi a ctifs, aussi
intelligens ; mais aucune ville n ’est plus exposée aux incursions
des Arabes , au pillage des Motualis et des Naplousins, aux extorsions
des officiers du pacha d’Acre. Plus les habitans de Sour trouvent
de ressources dans leurs champs et dans leur industrie, plus ils
sont tourmentés, plus ils sont pressurés. Ils se livrent sans relâche
à la culture du coton et du tabac; à celle du froment, de l’orge et
du maïs ; à la fabrication de quelques toiles de coton, et cependant
ils ne peuvent souvent venir à bout de payer leurs impôts, élever
leurs familles, reconstruire leurs maisons, et se procurer les objets
d ’une indispensable nécessité.
On compte aujourd’hui à Sour cinq à six cents habitans druses,
maronites., grecs et arabes, restes infortunés des massacres qui ont
eu lieu à diverses époques et sous divers prétextes.
Les fondemens de murs que l’on apperçoit hors dé l’enceinte
actuelle, tant au sud qu’à l ’ouest, prouvent assez qu’anciennement
toute la presqu’île fut couverte de maisons. Partout on rencontre
des citernes dont les ouvertures sont à fleur de terre. On vo it, au
sud-est de la v ille , une église à moitié ruinée, bâtie par les Grecs
du Bas-Empire, sur les fondemehs de quelque temple : à côté sont
deux belles colonnes à triple fû t , que D g é za r , pacha, malgré sa
puissance, ne put jamais faire enlever, quoiqu’il les eût destinées
à orner la mosquée qu’il faisait construire à Saint-Jean-d’A cre.
L a facilité que la mer offre pour le transport des colonnes, des
statues , des inscriptions, des bas-reliefs, a été une des principales
causes de la dévastation qui a eu lieu sur toutes les anciennes villes
de-la côte. Il n’y reste plus maintenant que les masses qui se sont
défendues elles-mêmes, par leur poids, contre le-tems et les entreprises
des spoliateurs, et quelques objets peu volumineux, déposés
dans la terre, que le hasard fait quelquefois découvrir.
Combien, depuis les tems les plus reculés, doit-il être sorti de
précieux objets d’arts de cette ville , où on trouve à peine aujourd’hui
quelques débris ? Après les G recs, les Romains profitèrent des
dépouilles de T y r ; après ceux-ci, les Grecs du Bas-Empire s’empressèrent
de détruire ses temples : les Croisés vinrent ensuite enlever
tout ce que les premiers y avaient épargné ; les Musulmans à
leur toür ont fait disparaître jusqu’aux habitans; et depuis lors les
voyageurs de toutes les nations, que l ’ancienne splendeur de T y r
y attire sans cesse, ont fait tous leurs efforts pour s’y procurer,
en inscriptions, en médailles et en pierres gravées, quelques échantillons
des arts qui y fleurirent autrefois.
L ’ancienne T y r est plus complètement détruite que beaucoup
d’autres villes de la côte, qui ne l’ont jamais égalée en magnificence.
On y trouve moins de vestiges de monuinens, et beaucoup
moins' de colonnes qu’à Barut et à Latakie ; mais on sait que divers
sultans en ont fait transporter à Constantinople, et que dernièrement
encore Dgézar s’y en est procuré de fort belles : on en voit
d’ailleurs un grand nombre dans la mer, à côté du po rt, qu’on y
a entassées pour briser l ’impétuosité des vagues occasionnées par
les vents d’ouest et de nord-ouest.
La presqu’île de T y r a la forme d’un triangle presque équilatéra
l, dont un des angles touche à la terre. Le côté le plus large est
celui qui fait face à. la pleine mer ; il a environ douze cents pas de
long : le plus court, celui du sud-est, n’en a pas mille; ce qui donne,
comme on v o it, une étendue si bornée à l ’espace sur lequel T y r
fut bâtie, qu’on doit être étonné qu’il ait pu lui suffire. Nous ne
pouvons pas cependant révoquer en doute ce que tous les historiens
ont dit de sa puissance et de sa richesse. Nous savons qu’elle
fut la souveraine des mers durant plusieurs siècles; qu’elle soutint