C H A P I T R E V I .
D ép a rt de Rosette. V oyag e sur le N il. Frayeur de notre
ja n issa ir e . Fouah. Canal de M enouf. Terranéh. Pointe
* du D elta . V u e des pyram ides. B ou lac. Arrivée au
Caire.
N ou s quittâmes Rosette le 29 ventôse à onze heures du matin,
et nous nous embarquâmes sur une mâche légèrement chargée.
Le vent souillait du nord : les eaux du fleuve étaient déjà très-basses
, et partout aussi calmes" que dans un bassin. Nous ne distinguions
en aucun endroit le courant de l ’e a u , et nous voguions
avec la plus grande rapidité.
Les rives du N il, peu élevées vers Rosette, permettent de porter
au loin les regards, et de jouir de la beauté des champs5 mais à
mesure qu’on s’en éloigne, le lit du fleuve devient de plus en plus
profond : les rives s’élèvent et la campagne disparaît. Il ne reste
plus alors qu’un rideau uniforme de terre brime, qui serait extrêmement
désagréable si l’on n’appercevait encore les touffes de palmiers
et de sycomores qui entourent les villages situés près du
fleu v e , sur une butte factice ; si l ’on ne rencontrait de tems en
tems quelques-unes de ces îles qui se montrent chaque aimée à
mesure que les eaux baissent, et sur lesquelles le laborieux fellah
vient semer avec confiance les graines des diverses sortes de melons
, de pastèques et de concombres, certain d’en recueillir les
fruits avant la crûe du fleuve. A l’approche d’un village , on remarque
avec intérêt les enfans des deux sexes, nus jusqu’à l ’âge
de puberté, jouant et folâtrant, près des eau x, sans craindre les
effets d’un soleil très-ardent ; et les femmes de tout âge, vêtues
d’une simple chemise bleue, qui viennent au Ni l , la cruche sur la
tête ; elles ôtent ordinairement leur chemise, la lavent, l’étendent,
nagent quelques instans,, puis la remettent encore mouillée , remplissent
leur cruche, et se retirent Sans faire attention au bateau
qui passe, et au voyageur qui les regarde.
Tout , dans ce voyage, fournit matière à l’observation : tout
distrait ou occupe; tout amuse ou intéresse. Tantôt c’est un radeau
fait d’un assemblage de citrouilles ou de cruches renversées, qui
descend lentement ; tantôt c’est l ’esquif élégant- d’un Mameluk qui
passe avec rapidité au moyen de vingt ou trente rames. Ici des
mariniers dans l’eau jusqu’à mi-cuisse dégagent, en chantant, leurs
bâteaux échoués. Plus loin le N i l , se repliant sur lui-mêine , les
oblige de louvoyer ou mettre pied à te rre, et remorquer leur bateau
jusqu’à ce qu’ils aient dépassé un angle» trop aigu. Là des
buffles que l’on vient de mettre en liberté courent à l ’eau , et s’y
plongent jusqu’aux naseaux, autant pour se rafraîchir que pour
échapper au dard de l’oestre et du taon. Ici des pigeons rasent,
comme l ’h irondelle, la surface de l ’eau , e t , comme elle , remplissent
leur bec sans s’arrêter : partout des oiseaux de toute espèce
ei en grand nombre font la guerre aux poissons, aux reptiles et
aux vers.
Le vent ayant cessé de souffler au coucher du soleil, nous nous
arrêtâmes au-delà d’un village nommé Métoubis. Nous continuâmes
notre route le lendemain, et nous arrivâmes dans .deux heures
à Fouah. Cette ville, l’une des plus considérables de l’Egypte, sous
la domination des Arabes, est située sur la rive orientale, à neuf
ou dix lieues de la mer. Elle a beaucoup perdu de sa population
et de sa splendeur depuis que Rosette est devenue l ’entrepôt
des marchandises qui remontent ou descendent Te fleuve.
Il s’y fait cependant encore quelque commerce : on y fabrique
des toiles, des marroquins ; on y fait des cordages, des u s tensiles
de ménage , et la plupart des habitans sont de très-bons
mariniers.
L ’île qui se trouve à l ’occident de la v ille , nous parut bien cultivée
: elle est couverte de dattiers, d’orangers, de citroniers et
de hennés.
Nous ne restâmes que quelques heures à Fouah. Le vent