positif. Nous lui annonçâmes seulement que le malade était trèsmal,
mais non pas sans ressource.
Nous revîmes le pacha le lendemain matin ; il était beaucoup
mieux : l’espoir de guérir, dont nous l’avions flatté, avait versé
dans son ame un baume salutaire : la cessation des drogues qu’il
avait prises jusqu’alors aurait seule suffi peut-être pour soulager
son corps ; une nourriture plus légère et plus appropriée à son état,
une boisson d’abord délayante, et quelques remèdes que nous variâmes
suivant les circonstances, humectèrent bientôt la bouche,
firent disparaître la tuméfaction du ventre et calmèrent la fièvre :
le sommeil fut plus tranquille ; les forces revinrent avec l ’appétit,
et nous pûmes dès-lors annoncer le rétablissement très-prochain
du pacha. En e ffe t, dans dix jours il monta à cheval, et se montra
au peuple, qui demandait à le voir.
' Deux jours après sa première sortie, nous étant rendus chez lui
le matin, comme à notre ordinaire, accompagnés du cit. Outrey,
nous le trouvâmes avec le kiaya et le divan-éfendi : ceux-ci étaient
à une très-grande distance de lu i , et dans la posture du plus grand
respect (1). Dès que nous fumes assis, Bruguière et moi, sur les
carreaux qui avaient été placés pour nous à côté de lu i , il fit signe
de la main au kiaya et au divan-éfendi de s’avancer ; ce qu’ils firent
aussitôt, se remettant après dans la même posture qu’auparavant.
Nous trouvâmes le pacha dans le meilleur état possible; il avait
très-bien dormi : son pouls était excellent; les forces revenaient, et
l ’appétit se faisait sentir le matin de bonne heure : il parla avec
satisfaction de sa santé, nous dit les choses lés plus flatteuses, et
promit bien de ne jamais oublier qu’il nous devait la vie. Le kiaya
renchérit sur les éloges que nous venions de recevoir, et nous
témoigna de la manière la plus spirituelle et la plus adroite, combien
le public et lui en particulier nous étaient redevables par le
prompt rétablissement de leur maître. La conversation roula ensuite
sur divers objets peu intéressans.
( j) A genoux, assis sur Tes talons, les mains sur les cuisses, recouvertes des
larges manches du béniche.
Lorsque nous sortîmes de chez le p a ch a , le cit. Outrey nous
quitta pour aller au harem. Il avait à ordonner le dîner de son
malade , ainsi qu’il l ’avait fait jusqu'alors. Nous fûmes attendre
chez lui le cit.' Outrey, afin de jouir pendant quelques heures de
la fraîcheur que la situation de Sa maison, sur les bords du T ig re ,
lui procure toute la matinée. Nous renvoyâmes donc nos chevaux
et notre domestique chez le cit. Rousseau, en attendant de nous y
rendre nous-mêmes à pied.
If n’y avait pas six minutes que nous étions à la maison du cit.
Outrey lorsque nous le vîmes arriver si troublé, qu’il eut de la peine
a articuler que le kiaya venait d’être tué par l ’ordre du pacha. Que
l ’on juge de notre étonnement : nous étions, Comme tout le public,
dans la.persuasion qu’il y avait entre eux la plus grande intimité;
nousles avions laissés ensemble, et sous l’apparence delà meilleure
intelligence ; et cependant le kiaya venait d’être égorgé par l ’ordre
et sous les yeux de son bienfaiteur. Ce qui nous étonnait surtout,
c’est que le pouls du pacha ne nous avait présenté aucun indice
d’agitation.
Lorsque le cit. Outrey, qui avait été témoin de la mort du k ia y a ,
fut remis de son trouble, il nous instruisit en détail de ce qui s’était
passé. En revenant du harem, et passant dans la grande cour Sur
laquelle était situé le salon du pacha, il apperçut au bas de l’escalier
ouvert, qui conduisait à ce salon , une troupe de gens armés,
qui attira son attention. En s’approchant de plus près il fut saisi
d’horreur en voyant le khasnadar sortir du milieu de cette troupe
le poignard à la main, et distinguant fort bien le kiaya étendu
mort sur la poussière, tout baigné de son sang. Il vit en même
tems cette troupe qu’un regard du kiaya eût fait trembler auparavant
, insulter à son cadavre , le déshabiller (1) , et le traîner par
les pieds jusque dans la première cour du palais, où il resta exposé
une partie de la journée. Le cit. Outrey voulut savoir ce qui avait
pu donner lieu à cet événement ; mais on' ne lui répondit que par
conjectures. On lui dit seulement que le khasnadar avait donné,
( i) On ne liii laissa Ijüe là chemise et les câlecorfs.
F f f a