Syrie est un son gu ttu ra l, modifié par un trémoussement de la
langue, qui le fait ressembler, en quelque sorte, au cri que font
souvent entendre les dindons.
, T ell-Serg ié, situé à peu près au milieu de la route de Saarmin à
A le p , était anciennement un village dont il ne reste que des ruines
informes. Il y a quelques souterrains et des citernes qui servent de
refuge aux voleurs. A côté sont plusieurs petits monticules d’où
l ’oeil parcourt une vaste étendue de terrain : c’est là ordinairement
que les Arabes se postent lorsqu’ils ont l’intention d'attaquer une
caravane, parce qu’ils ont l'avantage de reconnaître sa force , de
fondre sur elle s'ils la jugent faible, ou de fuir s’ils ne se croient
pas assez nombreux.
Depuis Saarmin jusqu’à Tell-Sergié, la plaine est parfaitement
unie et presque toute inculte. Nous laissons biep lo in , derrière
n o u s , les montagnes que nous venons de traverser, et qui nous,
séparent de la Méditerranée : nous nous sommes même élevés au
dessus d’elles ; ce qui explique pourquoi la température de cette
plaine et des environs d’Alep est souvent très-froide en hiver , et
toujours assez douce en été. Il est vrai que ce pays est rafraîchi,,
dans la belle saison, par un vent d’ouest qui vient chaque jour de
la Méditerranée , et considérablement refroidi, en hiver , par celui
de nord-ouest ou de n o rd , qui souffle quelquefois des montagnes
que nous avons dit courir de l ’est à l’ouest, et dont nous apper-
cevons à peine, à notre gauche, les sommets éloignés.
Nos Curdes s’écartaient de tems en tems du chemin pour tirer
sur les katas, espèces de perdrix ou gélinotes qui sont ici par compagnies
de quelques milliers d’individus. On les trouve aussi nombreuses
et aussi multipliées dans tout le désert, qui s’étend depuis
Alep jusqu’à Bagdad. On ne sait pas comment ces oiseaux peuvent
trouver à viv re , en si grand nombre, dans des lieux presque stériles,
et pourquoi ils n’attirent pas autour d’eux une foule d’ennemis
pour les détruire ou en diminuer le nombre (1).
C est ainsi que nous franchîmes, sans accident, le passage trèa-
(1) C est la gelinote dont nous, ayons parlé dans ce yolume, pag- 7 1 .
redouté de Tell-Sergié. Nous n’en étions pas encore à demfclieue,
que le chef de la caravane de Damas fit signal d’arrêter pour faire
halte. Quant à nous, décidés à nous rendre le soir même à A lep ,
et de passer par les jardins àeRamouzé, où nous étions attendus,
nous continuâmes notre route malgré les vives instances qui nous
furent faites d’attendre que la caravane eût pris un moment de
repos. Notre résolution causa une grande rumeur parmi cette
troupe de marchands, q u i, dociles à la voix de leur- chef, et pressés
du besoin de manger, avaient déjà mis pied à terre, étendu leur
tapis et sorti leurs provisions. Chacun s’empressa de remonter sur
son cheval ou son chameau pour nous suivre : personne ne se
croyait encore hors de danger. Nous étions à peu de distance de
Tell-Sergié, et on savait bien d’ailleurs que les Arabes pouvaient
choisir tout autre poste. Mais comme une caravane se meut lentement,
et que nos chevaux allaient bon train, nous la laissâmes
bien loin derrière n ous, et la perdîmes bientôt de vue.
Nous arrivâmes à trois ou quatre heures après midi à K a n -
Toman, caravanserai spacieux, bâti dans un petit va llon, au milieu
duquel passe la petite rivière d’A lep : c’est là que la caravane
devait venir coucher. Sur la droite de ce k an , il y a une gorge qui
offre un coup-d’oeil assez agréable : on y voit beaucoup d’oliviers et
quelques autres arbres qui contrastent assez bien avec la nudité des
environs. D ’ici à Alep le terrain change d’aspect : ce n’est plus une
plaine uniforme ; ce sont des coteaux calcaires, stériles ou couverts
de cistes, de sarriètes, de thyms et de tragacanthas.
Le désir d’arriver avant la nuit à Ramouzé nous rendit sourds à
la vo ix menaçante de cinq ou six Turcs qui .sortirent du caravan-
serai, et vinrent à nous un papier d’une main, une écritoire de
l ’autre. Notre moucre lui-même ne s’arrêta qu’un seul instant. Ce
fut notre janissaire qui se chargea de leur répondre, et de faire
cesser leurs menaces , dont nous ignorions la cause. Nous ne l ’apprîmes
que lorsque le janissaire nous eut rejoints. C'étaienE des
commis du douanier d’A le p , placés là pour enregistrer les marchandises
qui passent, et recevoir la déclaration des voyageurs,
concernant leurs effets.
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