C H A P I T R E X I .
D ép a rt de M o ssu l. Passage du L y cu s sur des kelleks ;
réflexions à ce sujet. Remarques sur le lieu ou se donna
la b a ta ille d ’A rb elles. D escription d ’E r b il, A ltu n -
K u p r i, K e rk o u k f T a o u k , D u s-H o rm a l, K a ra -T ep è.
A rrivée à B agda d.
L e 2.5 germinal nons prîmes quatorze chevaux de po ste, et nous
partîmes vers les n euf heures du matin, sous la conduite d’un tcho-
cadar. Le tems était à la pluie. Il nous fallut près d’une heure
pour passer le fleuve dans un grand bateau en bois de chêne, très-
grossiérement construit. Le fond était presque plat et la proue considérablement
élevée : la poupe, ouverte dans quelques-uns, était
fermée dans le nôtre , et s’élev a it, ainsi que les côtés, à plus de
trois pieds hors de l’eau , de sorte que nos cheyaux eurent beaucoup
de peine pour y entrer et pour en sortir.
La communication de Mossul avec la partie orientale du Tigre
est établie au moyen d’un pont de b ate au x, sur lequel on passe
librement presque-toute l’année; mais lorsque le flëuve est grossi
par les pluies et la fonte des neiges , on retire le pont, et on a
recours alors à des bateaux tels que celui dont nous venons de
parler. Le Tigre avait , lorsque nous le traversâmes, deux fois
autant de larg eu r , et beaucoup plus de rapidité que la Seine à
Taris dans ses plus hautes eaux.
Nous montâmes à cheval vers les dix heures, et après quatre
heures trois quarts, à petits p a s , nous arrivâmes à Kara-Coch
(Oiseau n o ir ), village de Catholiques syriens, contenant environ
trois cents maisons bâties en terre. La plupart de ces maisons ressemblent
un peu à celles de Hardaran, premier village que nous
avons rencontré en partant d’Alep : elles sont basses et surmontées
d’un dôme.
Depuis plus de vingt jours la température de l’air était très-
douce : les nuits étaient fraîches et humides, mais le jour il faisait
assez chaud, surtout au soleil. Le thermomètre, à une heure après,
midi, indiquait à l’ombre, 16 , 17 et 18 degrés de chaleur. La végétation
, en partant de Mossul, nous parut aussi' avancée qu’elle l’est
à Paris à la fin de floréal. Les terres, à l ’orient du T ig r e , sont très-
fêrtiles et assez bien cultivées : nous y trouvâmes une assez grande
quantité de plantes en fleur, dont nous donnerons un jour la description
et la figure.
Le 26 , après trois heures de marche, nous passâmes une rivière
nommée K h a ser S ou i : c’est le Bumadus ou Bumellus des Anciens.
Les pluies l ’avaient tellement grossie, que les chevaux eurent de
l ’eau jusqu’au tiers du ventre : on nous dit qu’elle était presque à
sec en été. Deux heures après nous arrivâmes au Z a b ou Z arb
S o u i (1 ), rivière alors beaucoup plus large et plus rapide que la
Seine en hiver, devant les Invalides : c’est le Za.ba.tus des anciens
Perses, le L ycus des Grecs.
Une troupe de Jésides que nous y trouvâmes, s’empressèrent de
décharger nos chevaux et de leur ôter leurs selles et leurs bâts.
Quelques-uns d’eu x , munis d’une outre enflée, prirent chacun un
cheval par le lico l, et se mirent à la nage : ils tenaient d’une main
le licol, et de l’autre ils avaient l’outre, sur laquelle le ventre et les.
cuisses posaient; ils avançaient au moyen des jambes eç des pieds..
Le courant les fit beaucoup dériver, mais ils arrivèrent tous sans
accident. Nos effets furent placés sur des kelleks formés de trente-
deux outres liées les unes aux autres, et fixées sous des perches de
saule d’un pouce et demi d’épaisseur : nous nous y plaçâmes nous-
mêmes. On ramait avec une rame à claire-voie, en forme de raquette,
qui ne nous aurait pas Certainement fait arriver à l’autre
bord si nous n’avions été remorqués par un cheval conduit par
un Jéside, qui tenait de sa main droite la crinière et la bride, et
de la gauche son outre : il était placé, par conséquent, au dessus
du courant.
(1) Le fleuve fort.