par d errière, le premier coup au k ia y a , au bas de l’escalier , et
que celui-ci, se sentant frappé, avait levé les mains vers le pacha,
en lui criant : Aman ! aman ! éfendi ! (Miséricorde ! miséricorde !
seigneur!) Le cit. Outrey jugea qu’il était convenable de se retirer
à l’instant, et de venir nous joindre. Il se fit ouvrir les portes du
sérail, qui avaient été fermées au moment même de notre sortie,
et qu’on ne lui aurait pas peut-être ouvertes s’il s’y était présenté
quatre minutes plus tôt. Dès que le cit. Outrey fut sorti les portes
restèrent ouvertes, et le peuple entra en foule, le reste de la journée,
dans la première cour du palais pour jouir de ce hideux
spectacle.
L a nouvelle de cet événement se répandit à l’instant dans la
v ille , mais avec cette différence que l ’on publiait aussi la mort du
pacha. Le cit.'Rousseau, qui en fut instruit de cette manière avant
même l’arrivée de notre domestiqué , fut très en peine sur notre
compte, nous croyant encore au sérail. Il fut donc très-empressé
d’y envoyer son. janissaire, avec ordre de nous ramener chez lui s’il
était possible, ou de venir l’informer promptement de ce qui se
passait ; mais bientôt il fut moins en peine quand il nous sut chez
le cit. Outrey. Cependant, n’étant pas encore bien instruit de ce
qui avait eu lieu, et entendant d ire, par les uns, que le pacha était
mo r t, et par les autres, que ce n’était que le k ia y a , il nous fit prier
de venir chez lu i, comme devant être, à tout événement, beaucoup
plus en, sûreté que partout ailleurs.
En nous rendant chez le cit. Rousseau, nous vîmes toutes les
boutiques fermées, et nous crûmes remarquer beaucoup d’agitation.
Noqs rencontrâmes aussi, en divers endroits, des hommes armés,
marchant avec une vitesse peu usitée en Turquie. Mais ni ces
bruits ni cette agitation ne furent de longue durée : en exécution
des ordres qu’il reçut de Suleiman, le janissaire aga monta à cheval
et parcourut les principales rues, annonçant partout que le
pacha çe portait bien , qu’il n’était a rrivé.d’autre événement au
palais , que la juste et salutaire exécution du kiaÿa : il ordonnait
, sous peine de, m o r t, que chacun ouvrît sa boutique et
vaquât à ses affaires. Plusieurs détachemens de janissaires se
répandirent, pour le même objet, dans tous les quartiers de la
ville.
Dans l ’instant tout rentra dans l’ordre. Cet événement ne fut plus
regardé que comme une exécution ordinaire, que le kiaya s’était
attirée par sa conduite. Cependant on s’épuisait en conjectures sur
les causes de cette mort : on voyait bien que l’ambition du kiaya y
avait donné lieu; mais on ignorait ce qui avait pu déterminer le
pacha, dans les circonstances actuelles, à traiter si rigoureusement
un homme sur q u i, depuis trente ans, il s’était plu à accumuler ses
bienfaits : nous l’apprîmes le jour même par un des premiers officiers
de la garde.
Quelques jours avant cet événement, le. pacha reçut de la Porté
son firman de confirmation pour une année , ainsi qu’il est d’usage
dans toute la Turquie." Le Tartare qui l’avait apporté, était chargé
en même tems d’un paquet qu’il ne devait remettre qu’au pacha :
il était envoyé par l’homme d’affaires que celui-ci entretenait à la
capitale'. Ce paquet contenait les lettres originales que le kiaya
avait écrites à la Porte pour obtenir la place de son bienfaiteur.
11 faisait beaucoup valoir dans ses lettres les services qu’il rendait
depuis long-tems à la Porte ; parlait de ses talens avec orgueil ;
disait q u e , par une bonne et sage administration, il avait considérablement
accru les revenus du pachalik, et qu’il pouvait en
conséquence porter à un taux beaucoup plus haut la taxe accoutumée
; il offrait même, pour le moment, des sommes considérables
; il s’étendait ensuite beaucoup sur l ’incapacité de Suleiman,
depuis qu’il était atteint d’une maladie de langueur qui
devait finir , suivant l ’avis des médecins , par le conduire au
tombeau.
A la lecture de ces lettres, le pacha s’était décidé sur le champ
à punir de mort son protégé ; il en avait le droit en sa qualité de
visir : le kiaya la méritait comme convaincu du plus noir des complots
; mais comme celui-ci avait tout le pouvoir en main, il n ’était
pas facile d’exécuter cette sentence. C’en était fait du pacha si le
kiaya avait eu le moindre soupçon de ce qui se tramait contre lui.
Il fallut donc avoir recours à la ruse ; il fallut assassiner en traître