eux. Mais tel est le pouvoir de l ’instruction, telles sont les ressources
de l’industrie : T y r , détruite ou endommagée par Salmanazar ,
•Nabuchodonosor , Alexandre, Antigone, Antioehus et tant d’autres
, s’était toujours relevée avec éclat,-et avait repris son rang
parmi les cités opulentes, parce que les vainqueurs, une fois satisfaits
du butin qu’ils y avaient enlevé, ou rassasiés du sang qu’ils
y avaient répandu , laissaient en paix les habitans échappés au
massacre. Ceux-ci rentraient sans obstacles dans leurs propriétés,
reconstruisaient leur v ille , reprenaient leur commerce, et acquéraient
bientôt de nouvelles richesses. Rien n’arrêtait plus l’élan de
l ’industrie : la charrue traçait de nouveaux sillons ; les ateliers
étaient remontés; les arbres du Liban étaient abattus, façonnés, et
transformés en de nouveaux navires; et soit que T y r indépendante
fut gouvernée par des magistrats ou des rois pris au sein de la
v ille ; soit que, subjuguée, elle obéît aux Assyriens, aux Perses,
aux Égyptiens, aux Grecs ou aux Romains, toujours le commerce
maritime, semblable à une douce pluie après un vent impétueux,
était venu réparer les dommages que la guerre lui avait fait éprouver.
T y r , sous les Arabes , avait conservé une partie de son opulence
et de ses richesses : elle avait encore une marine lorsque les,
Croisés arrivèrent en Palestine. Mais depuis que les Turcs y ont
porté le fer et la flamme ; depuis: qu’ils o n t , par un fanatisme
insensé et des. préjugés ridicules , effrayé l ’agriculture, paralysé
l ’industrie, fait périr une partie des habitans et soumis l ’autre à
l ’esclavage, T y r a disparu, et l’on peut prédire qu’elle ne se relèvera
pas, à moins que, par une de ces révolutions auxquelles le
globe est soumis, les a rts , les belles-lettres et les sciences ne reparaissent
dans les contrées qui furent autrefois leur berceau.
. On peut cependant regarder l ’époque de la prise de T y r par
Alexandre, comme celle de la diminution de son commerce ; car ,.
indépendamment de la-destruction de la v ille , de la perte de tous,
les navires qui se trouvaient dans le p o r t , de la; fuite ou du massacre
de presque tous les habitans , qui en furent les suites, les
guerres continuelles qui eurent lieu entre les successeurs de ce conquérant
, pour la possession de la Phénicie, durent retarder les
progrès dé la populàtion , mettre des entraves à l ’industrie, et
ralentir le commerce : mais rien ne pouvait faire plus dé tort aux
Tyriens, que la fondation d’Alexandrie et l ’áccróissement considérable
de la marine des Égyptiens sous les Ptolémées. Cependant,
comme la révolution qui s’opéra alors dans le commerce de l’Orient
ne put se faire qu’avec lenteur tant que Palmyre exista , et que lés
Romains dédaignèrent le trafic, les T y rien s , au moyen de leurs
connaissances nautiques et de leur position avantageuse, parvinrent
facilement à conserver une partie du commerce qu’ils avaient
fait seuls auparavant. Us conservèrent surtout l ’art de teindre en
pourpre, art dans.lequel eux seuls excellaient, et dont ils rendirent
pendant long-tems leurs vainqueurs tributaires.
Us retiraient cette belle couleur de divers coquillages marins que
Ion péchait sur les côtes de Phénicie, de Cilicie, d’Afrique et.de
Grèce. On en distinguait trois espèces : celle qui avait une longue
queue recourbée, celle qui en avait une très-courte, et celle dont
la spire n’etait point saillante. Ces coquilles étaient connuès sous
les noms de murex, de conchylium et de purpura. Les naturalistes
modernes , qui ont voulu faire quelques recherches à ce sujet,
n ont pu reconnaître , d’une manière très-précise , les espèces qui
donnaient la pourpre aux Tyriens, parce qu’ils ont obtenu la même
couleur de presque toutes les coquilles des genres de buccin, rocher,
strombe et pourpre. 11 y a aussi quelques coquilles fluviátiles,
telles que la planorbe et le bulime , qui en fournissent en petite
quantité. La janthine, que nous avons trouvée assez abondante
dans les rades de T y r , d’A lexandrie et d’A b ou kir, est peubêtre la
coquille qui en fournit le plus. Tout l’animal, en mourant, acquiert
une très-belle couleur violette tirant sur le pourpre , qu’il communique
à sa coquille et à tout ce qui sert à l’envelopper.
La liqueur de toutes ces coquilles est ou verte ou blanche quand
l ’animal est vivant et qu’on la tire de son réservoir, et sa viscosité
est très-considérable. Elle devient rou g e , et ensuite pourpre lorsqu’elle
est étendue, dans une certaine quantité d’eau et exposée à
l’air. Ce réservoir est rarement plus gros qu’un pois: on peut juger
par-là de la quantité de coquilles que les Tyriens étaient obligés de \
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