La lèpre est extrêmement rare , et ne se montre point ici sons
l ’aspect hideux qu’elle présente en Crète , en Morée et dans les îles
de l’Archipel. Les recherches que j’ai faites à ce sujet n’ont pu
être complètes ; mais il m’a paru que le petit nombre de lépreux
qui se trouvent en É gypte, y est étranger ; que les Grecs et les Juifs
sont plus ordinairement atteints dé cette maladie, que les Musulmans
, les pauvres plus que les riches, et qu’il n’y a pas d’exemple
qu’un Européen en- ait été affligé. Il paraît aussi qu’elle n’est pas
occasionnée par l ’a ir, mais qu’elle est le résultat d’une mauvaise
nourriture,1 et surtout d’un usage Continuel d’olives, de caviar (1)
et de poissons salés, avec l’eau pure pour toute boisson.
Mais, dira-t-on, les habitans de l’É gypte sont sujets à des ophtalmies
qui produisent très-souvent la cécité. Ici je soupçonne qu’il
faut en accuser le sel qui se trouve contenu dans l ’air en si grande
abondance , qu’on le voit se fixer partout et se cristalliser en dif-
férens endroits. La superficie du sol en est tellement imprégnée,
que les pluies, quoique très-rares , l’entraînent dans les lacs et les
marécages, d’où les habitans le retirent chaque année après l’évaporation
totale ou partielle des eaux. Ce sel est connu, dans le commerce
, sous le nom de natron. Répandu dans l ’a ir, il agit sur l ’organe
délicat de la v u e , produit d’abord de la démangeaison, puis
un sentiment de douleur, et ensuite une inflammation opiniâtre
qui se termine par la perte de la vue.
En vain quelques auteurs ont regardé, le sable fin que les vents
de sud répandent quelquefois dans l’a ir, comme la cause des maladies
des yeux : ces vents, rares, et momentanés , ne sauraient
produire ces inflammations lentes et opiniâtres qui se montrent
pendant toute l’année. Les Arabes des déserts y seraient d’ailleurs
bien plus sujets que l’habitant de l ’É g yp te , et l’on sait que cette
maladie est extrêmement rare chez eux.
Ce qui prouve qu’on ne doit point en accuser les vents de sud,
c’est qu’on observe la même maladie en Perse, où le khramsi est
inconnu ; mais en Perse, comme en Égypte, l’air contient.un sel
(1) OEufs d’esturgeon. Voyeztom. I, p. aoô.
dont l ’action constante et continue se fait sentir sur l’organe de
la vue.
Quelques voyageurs ont cru trouver la cause de la cécité dans la
coutume des habitans, de coucher sur la terrasse des maisons; mais
ceux des îles de l ’Archipel, de la S y rie , de la Mésopotamie, de
l ’Arabie , de tout le nord de F Afrique y couchent aussi, sans être
cependant exposés aux inflammations des yeux.
On ne serait pas plus fondé à regarder la1 fraîcheur des nuits,
qui succède à la chaleur immodérée du jou r , comme la seule cause
des ophtalmies; car, dans les déserts qui entourent l ’Égypte, dans
ceux de l ’A rabie, à Damas, à Bagdad, à Mossul, la chaleur du jour,
et la fraîcheur de la nuit sont bien plus grandes qu’en Égypte, et
cependant ni les Arabes ni les habitans de ces trois villes ne sont
autant sujets aux inflammations des yeux que les Égyptiens.
Il n’est pas douteux que dans quelques circonstances la fraîcheur
de la n u it, succédant à une forte chaleur du jou r , ne puisse accélérer
le développement de cette maladie, l ’occasionner même ; mais
je ne crois pas qu’elle puisse en être seule la cause. A notre retour
de la Perse par le désert du nord de l ’Arabie, en prairial et messidor
, nous éprouvâmes, pendant soixante-cinq jours, les plus fortes
chaleurs , et la nuit une fraîcheur assez vive pour nous obliger à
nous couvrir de plusieurs couvertures : on nous faisait plier la
tente au soleil couchant, cependant personne, dans une caravane
nombreuse , n ’eut la moindre incommodité , et n’éprouva la plus
légère inflammation des yeux.
Ce qu’il y a de remarquable , c’est que ces sels, répandus dans
l ’a ir, n ’affectent en aucune manière les poumons. La phthisie,•
commune dans les îles de l’Archipel et dans la Grèce, est presque
inconnue en Égypte, soit que ces sels ne puissent corroder cet organe,
soit que la Nature fasse marcher avec eux une autre substance
qui en est le correctif.
Les chimistes français qui ont parcouru en dernier lieu cette contrée
intéressante, nous diront peut-être si la formation de ce sel
tient à la qualité de l’a ir, à la nature du so l, ou si l ’action du soleil
y contribue. On ne peut certainement pas en attribuer uniquement