Nous ayant pris pour des Chrétiens sujets de l ’Empire , parce
que nous étions habillés comme eu x , ils allaient nous dénoncer,
espérant avoir leur part de l ’avanie que le douanier allait nous
faire. Un mot du janissaire détruisit leurs espérances, et les calma.
U n Européen est censé, en T urquie, ignorer les usages et la langue.
D ’ailleurs, nous allions descendre chez le commissaire de la
République : c’était à lui à faire par son drogman , auprès du douan
ie r, la déclaration exigée en pareil cas. .
Kan-Toman se trouve à neuf ou dix milles d’Alep. Il nous en
restait sept ou huit à faire pour arriver à Ramouzé, où les négo-
cians français étaient venus nous attendre, et où nous avions espéré
de dîner. Mais comme il était presque nuit lorsque nous eûmes le
plaisir de les embrasser, nous continuâmes avec eux notre route ,
malgré la faim qui commençait à nous tourmenter, et vînmes descendre
chez le cit. B icho t, qui eut l ’honnêteté de pourvoir à nos
pressans besoins.
C H A P I T R E V I I .
L e s environs d ’ A lep sont infestés p a r les A rabes , les
■ Turcomans e t les Curdes. D escription de la v ille | sa
température ; sa population ; son commerce. D es sché-
rifs ; désordres qu’ ils ont occasionnés ; leur p u n itio n ;
ils sont remplacés p a r les ja n issa ires. Moeurs des ka-
bitans. D e K e ftin e t Martavàn. D es Chinganés. P ro ductions
du so l, H istoire naturelle.
L e s terres incultes, désertes, qui s’étendent à l’orient et au midi
d’A le p , sont fréquentées par deux hordes nombreuses d’A rabes
bédoins qui se disputent le titre d'Émir, que cette ville est dans
l ’usage d’accorder à l ’un des deux chefs. Ce titre est accompagné
d’un présent annuel assez considérable, et de la concèssion de quelques
privilèges pour la vente des denrées que ces Arabes envoient
au marché. Moyennant ces concessions la ville et son territoire
doivent être à l ’abri de tout pillage : les caravanes doivent être
exemptes de toute insulte ; elles doivent même être protégées
contre tout autre parti arabe qui viendrait les attaquer.
Lorsque nous arrivâmes à A lep , ces deux hordes se faisaient la
guerre pour décider par la force des armes à qui des deux chefs
resterait le titre d’Émir ; et parce que, en attendant cette décision,
elles ne recevaient pas le présent d’usage, et n ’envoyaient pas leurs
denrées à la v ille , elles s’en indemnisaient en faisant, chacune de
son côté, des excursions dans les villages, en mettant à contribution
les caravanes , en dévalisant les voyageurs. Alep cependant a un
gouverneur dont la garde est nombreuse : elle a dans ses murs sept
à huit mille janissaires et cinq à six mille schérifs ou gens portant
le bonnet vert en qualité de parens du prophète j elle a une population
de cent cinquante mille individus, et elle souffre que deux