a le sérail du pacha, dont l ’enceinte est fort grande à cause des
cours qui s’y trouvent, et du logement de la garde , toujours fort
nombreuse dans cette ville. On y voit aussi, du côté du fleuve, une
espèce de citadelle qui ne peut servir qu’à renfermer les armes et la
poudre. -J
Entre le rempart et les maisons, à l ’est et au sud, il y a un
espace de terrain assez considérable, que nous n’avons point compris
en parlant de l ’étendue de la ville ; car l ’enceinte des remparts
a plus de deux milles de long , et plus d’un mille de large.
Bagdad avait autrefois quatre portes du côté des champs : il n’en
'reste plus que trois, parce que sultan Amurat, qui prit la ville sur
les Persans, et qui fit son entrée par celle du sud-est, ordonna de
la murer afin que personne n’^ pû t passer après lui. Il n’y a qu’une
porte du côté du Tigre : elle aboutit à un pont de bateaux, qu’on
ne retire qu’aux grandes crues. Il est formé ordinairement de trente
bateaux liés par une forte chaîne : ôn en augmente le nombre à
mesure que l’eau s’élève. Mais comme ils ne sont point retenus par
des ancres, si la crûe est subite, ou si le vent de nord ou de nord-
est souffle avec impétuosité, ou même si, lors des hautes eaux, le
vent souffle un peu fort du sud ou du sud-est, et fait refluer les
eau x , le pont se rom p t, et les bateaux sont entraînés par le
courant.
Nous vîmes à notre retour de la Perse, d’une maison située sur
lè Tigre,- lé pont se rompre en germinal par une crûe subite. Le
vent était alors au sud , et la chaleur assez forte. Il avait été auparavant
à l ’ouest pendant plusieurs jou r s, et avait occasionné probablement
dé fortes pluies dans tout le cours supérieur du fleuve :
il en était fort peu tombé à Bagdad. Dans le moment que les chaînes
cassèrent et que les bateaux furent entraînés, une barque traversait
le. fleuve ; elle fût culbutée, et avec elle dix ou douze Arabes
qui étaient dedans, et qui se sauvèrent à la nage. Il y avait parmi
eux une femme qui ténait dans ses bras un enfant d’un an : la surprise,
le mouvement et la secousse çlu bateau , et peut-être cette
loi impérieuse de la Nature, qui nous porte malgré nous, et avant
toute réflexion, à nous éloigner d’un danger ou à nous efforcer
d’en sortir, firent lâcher involontairement à cette femme son nourrisson
et se diriger vers le rivage 5 mais la tendresse maternelle eut
son tour. Nous la vîmes à l’instant revenir, s’agiter long-tems au
milieu des flots, et chercher son enfant de tous les côtés. A peine
l ’eût-elle apperçu, qu’elle redoubla ses efforts, parvint à le saisir
d’une main et à le sauver en nageant de l ’autre. Quelques Arabes
vinrent à sa rencontre} mais la satisfaction qu’elle éprouvait, soutenait
ses forces et rendait leurs secours inutiles : elle ne voulut
confier à personne son dépôt. En effet, pouvait-elle se persuader
qu’il fût en d’autres mains autant en sûreté que dans les siennes?
Le faubourg n’est pas fortifié comme fa ville : il est cependant
entouré d’un petit'fossé et d’une simple muraille qui le garantissent
suffisamment contre toute attaque des Arabes. Le pacha qui
gouverne aujourd’h u i, y a fait construire quelques tours, et y a
placé du canon.
Cette ville, comme on v o it , n’est pas aussi grande et aussi peuplée
qu’Alep : les maisons ne sont pas non plus aussi élevées, ni
aussi solidement bâties. Elles ont en général fort peu d’apparence
au dehors ; elles ont peu de fenêtres, et n ’ont guère que deux
étages. Presque toutes, sont disposées en carré autour d’une petite
cour plantée d’un ou deux nâpcas, et de deux ou trois dattiers.
Celles des riches ont une seconde cour qui sert de jardin, et un
second corps de logis destiné aux femmes : c’est là leur harem ;
c ’est là où elles se tiennent et où nul homme ne peut entrer, si ce
n’est le maître ou le chef' qui en a les clefs; c’est plus particulièrement
à cette partie de maison qùe l’on n’a pratiqué aucune fenêtre
sur la rue.
Parmi les chambres de l’un et de' l’autre corps de logis , on en
voit une au premier étage, plus spacieuse que les autres, entièrement
ouverte du côté du nord ou du nord-est, ornée d’un divan :
c’est la salle de compagnie ; c’est là qne l ’on passe , dans toutes
les saisons, une partie de la journée; mais en été, depuis onze heures
du matin jusqu’au soleil couchant , on se tient dans les serdaps,
espèces de caves assez vastes, bien voûtées, plus ou moins ornées,
enfoncées de quatre à cinq pieds dans-la terre, où l’on n’éprouve