les voir dépouiller et maltraiter. Ils étaient plus de cinquante, et
l ’apparition de dix Arabes leur ôtait l’usage de leurs sens. S’ils
craignaient tant la m o r t, pourquoi la recevoir sans défendre, leur
vie ? S’ils regardaient la perte de leurs effets, de leur argent comme
le plus grand des m au x , pourquoi ne pas exposer leur vie pour
lés conserver P Trembler à l ’aspect du p é r il, c’est une faiblesse
quelquefois excusable , touj ours digne de pitié ; mais se résigner,
ne pas se défendre , ne pas agir lorsque la propriété ou l’existence
est menacée, c ’est, pour l ’homme en état de résister, une lâcheté
qui le rend indigne de vivre , et qui n’inspire que le mépris.
Cependant il fallut pourvoir à notre sûreté. Nous allions prendre
nos armes et nous mettre à l’écart avec le religieux et notre
domestique lorsque nous soupçonnâmes, en ne comptant que onze
cavaliers, que ce pouvait être l’aga et les dix hommes qu’il avait
dû prendre avec lui. Cette idée , que les gens de la caravane saisirent
avec transport, calma tout à coup leur frayeur. Ils y virent
plus clair en un instant, et ils reconnurent effectivement l’aga qui
s’avançait à la tête de sa troupe. Il nous sa lu a , et témoigna sa
surprise de ce que nous n’étions pas venus nous joindre à lui lorsqu’il
avait passé. Il nous dit avoir conduit-le courrier jusqu’au-
delà des terres de la horde sans avoir rencontré aucun Arabe. Il
nous conseilla de nous mettre en route.
Nous crûmes qu’on allait suivre son avis j mais nous nous trompâmes
: on resta encore deux heures dans l ’irrésolution. Nous ignorons
même le parti qu’on eût pris si on n’avait pas vu venir une
caravane de Mossul, qui avait passé sans être inquiétée. Cette caravane
avait envoyé quelqu’un auprès du ch e f, qui avait répondu
que son intention n’était pas d’arrêter les caravanes ni rien exiger
d’elles. Sur cette assurance, nous nous mîmes en route vers midi
sans rencontrer personne , et après cinq heures de marche nous
passâmes une petite rivière qui a creusé son lit assez profondément
dans un terrain volcanique. Nous campâmes sur la rive gauche
, hors des limites de la horde qu’on avait tant redoutée, et
dont la conduite singulière fut pour nous une énigme jusqu’à notre
arrivée à Mossul. Là nous apprîmes que le pacha de Bagdad, qu’on
savait
savait être malade, avait, pendant quelques jours, passé pour mort,
et qu’ensuite le bruit avait couru qu’il était mieux, et qu’on espérait
de le voir bientôt: rétabli.
Nous sommes dans le désert depuis la petite rivière qui se trouve
à une lieue du village arabe où nous avons séjourné. De Merdin à
cette rivière, nous avions vu quelques villages peuplés d’Arabes :
la campagne nous avait partout offert des troupeaux de boeufs et
de moutons et quelques cultures. Les terrés y sont parfaitement
en plaine et de la plus grande fertilité. Au-delà de la rivière et
jusqu’aux environs de Mossul, il n’y a aucune sorte de culture :
ce sont dè vastes plaines très-fertiles , qui produisent un pâturage
abondant, dans lequel les Arabes, d’un cô té, et les Curdes, de
l ’autre, envoient paître leurs troupeaux ; mais ni Curdes ni Arabes
ne dépassent les limites des terres qui leur sont affectées. Toutes
les- hordes se coaliseraient contre celle qui voudrait enfreindre le
pacte auquel leurs ancêtres ont souscrit. Les caravanes cependant
ont le privilège de laisser paître leurs montures sur ces terres, sans
jamais être inquiétées pour cet objet, et même dans toute la route
nous les avons vues s’arrêter indifféremment dans les prairies naturelles
et dans les champs des environs des habitations. L ’herbe est
partout si abondante, qu’il en reste toujours assez pour le propriétaire.
D ’ailleurs, il faut, dans tout l’Orient, qu’elle se consume
sur pied : on n’a point la précaution de faucher les prairies et de
mettre du foin exi réserve pour l ’hiver : les pailles y suppléent dans
cette saison, en y ajoutant, soir et matin, une ration d’orge. Les
chevaux memes , dans les villes, ne connaissent pas d’autre nourriture
: on leur donne l’herbe fraîche au printems pendant quinze
jours, dans la vue de les purgerj qn les nourrit, tout le reste de
l’année, avec la paille et l ’orge.
Le 16 , nous marchons pendant huit heures : il pleut abondamment
toute la journée et une partie de la nuit. Nous campons dans
un champ où l’herbe est très-haute, très-épaisse, et le terrain inégal.
Nous sommes obligés de creuser un petit fossé autour de notre
tente, pour garantir de l’eau nos effets et nos lits.
Le 17 , la pluie a continué : nous avons marché pendant six
Tome II. Y y