Les Arabes avaient établi une digue à l’ancienne bouche cano-
pique, afin d’empêcher les eaux de la mer de se répandre dans
les terres ; mais le gouvernement des Mameluks, aussi peu prévoyant
que celui des T u r c s , a vu détruire peu à peu. ces travaux
sans être tenté de les réparer. Le lac , autrefois très-circonscrit et
entretenu seulement par les eaux du N il, s’est agrandi considérablement
depuis qu’il communique avec la mer. Le canal est exposé
maintenant, en quelques endroits, aux vagues qui entrent avec
impétuosité lorsque le vent souffle avec violence de la partie nord.
Il est à craindre qu’il ne soit bientôt emporté si l ’on ne se hâte
de rétablir les digues de la M adiéh.
Nous marchâmes pendant quelques heures dans cette plaine
basse, inculte, inondée en hive r, couverte en été de plantes maritimes;
après quoi nous reprîmes le chemin de la mer, et nous
vînmes parcourir le sol un peu élevé, sur lequel quelques géographes
placent, avec raison, l ’ancienne Canope. Nous ne vîmes,
dans une étendue de plus de demi-lieue, que décombres èt vestiges
de murs. Nous remarquâmes vers la partie méridionale onze belles
colonnes de marbre blanc renversées, dont quelques-unes étaient
à moitié enfouies dans la terre. Des ouvriers arabes détruisaient,
en cet endroit, les fondemens d’un vaste édifice pour en retirer les
pierres calcaires, et les convertir en chaux. Nous trouvâmes plus
loin un buste de femme sans tête , de basalte. Nous entrâmes dans
quelques catacombes situées le long du r iv a g e , et nous découvrîmes
dans la mer une stattie colossale de femme, tenant un enfant
au bras i elle était de granit thébaïque ; et quoiqu’elle fût en
mauvais état , on y reconnaissait fort bien le ciseau égyptien et la
figure éthiopienne.
De ces ruines au village d’Aboukir il n’y a pas un quart de lieue,
et du village à l’embouchure occidentale du Nil on compte à peu
près quinze milles. Le terrain , dans cette dernière étendue, est bas
et de formation plus moderne que celui que nous venons de parcourir.
Le banc de roche coquillère, tendre, que nous avons fait
remarquer à R a s -e l-T in et aux environs d’A lexandrie , s’étend
sans interruption jusqu’ici : il forme le cap sur lequel le château
d’Aboukir est bâti , et va ensuite jusqu’à l ’île qui termine la
rade.
Le village a fort peu d’étendue : on n’y eompfe pas aujourd’hui
cent Arabes, dont l ’air de misère et de mélancolie répond bien
mal à l’idée que les Anciens nous ont donnée du luxe et de la gaîté
des habitans de Canope.
La rade d’A boukir n’est pas assez abritée pour que les vaisseaux
de guerre un peu gros y puissent mouiller pendant la saison orageuse.
Mais si l’on établissait une fbrte jetée sur. les rochers qui
s’étendent depuis le château jusqu’à l’île déserte, on obtiendrait
un port excellent, très-vaste, d’autant plus précieux qü’il pourrait
servir en tout tems de refuge aux vaisseaux qui ne peuvent pas
atteindre celui d’Alexandrie. A u moyen de cette jetée, le port
d’Aboukir ne serait plus exposé qu’aux vents d’est et de nord-est,
qui sont rares et peu orageux dans ces contrées.
On passe entre l ’île et le château par cinq ou six brasses d’eau ;
mais il est imprudent de s’y exposer si on n’a pas un pilote, ou si
l ’on n’a pas soi-même la connaissance de ces parages.
On doit éviter un écueil dangereux, presque à fleur d’eàu, qui
se trouve à peu près à trois cents toises de la côte, au nord-ouest
du village. Nous y avons vu briser, vers la fin de ventôse, par Un
coup de vent d’ouest, un navire marchand q u i, ne pouvant gagner
le port d’A lexandrie, tâchait de se sauver à celui d’Aboukir.
Il y a fort peu de cultures autour dé cé village : on y voit quelques
figuiers, quelques ceps de vigne et quelques arbres fruitiers.
Un sable fin couvre presque tout l ’espace compris entre le village
et le lac. La roche est nue à l’oGGident, ou recouverte d’une terre
aride et sabloneuse.
Nous ne restâmes que deux jours à Aboukir : la saison s’avàn-
çait; il était tems d’aller au Caire. Le cit. Magallon, consul-général
de la République, venait de nous rassurer sur les craintes que les
négocians français ne cessaient de nous témoigner : il venait de
nous écrire que quelque injuste et vexatoire que fût la conduite des
beys à l ’égard- des négocians , nous, étrangers, n’avions rien à
craindre si nous nous bornions à voir le Caire et «es environs. Noue